Claude Tousignant, une rétrospective

Raphaëlle Joanisse

Claude Tousignant est un artiste influent dans le champ de l’art abstrait québécois depuis la deuxième moitié du 20e siècle. C’est dans le cadre de l’exposition rétrospective de cet artiste au Musée d’art contemporain de Montréal que les spectateurs ont la chance de contempler, à travers les salles, l’œuvre majeur de Tousignant. L’éditorial du directeur général du musée, Marc Mayer, nous laisse un avant-goût prometteur de l’exposition: « L’envie de me promener encore et encore, salle après salle, décennie après décennie, parmi ses peintures et ses sculptures magiques était si forte que j’en ai perdu toute objectivité1 […] ».

Claude Tousignant est un artiste montréalais né en 1932. Il étudie à l’École des beaux-arts de Montréal où, pendant trois ans, soit de 1948 à 1951, il reçoit une formation académique en arts plastiques. À la suite de voyages aux États-Unis et à Paris, Tousignant retourne dans sa ville natale en 1953 et oriente son esthétique sur le travail de la tache. Ce faisant, il cherche à aller plus loin dans l’abstraction que l’Automatisme. À la même époque se forme le premier groupe de Plasticiens composé de Belzile, Jauran, Jérôme et Toupin. Ce groupe, tout comme Tousignant, est influencé par Mondrian et s’oppose au mouvement automatiste en raison de la subjectivité qui imprègne encore les œuvres de ce courant artistique. Cependant, l’artiste ne se joint pas au premier groupe de Plasticiens, le peintre rejetant les couleurs délavées ainsi que le caractère géométrique de leurs œuvres. Tousignant s’inspire aussi de l’espace pictural de Pollock et de Newman. L’artiste se jumelle plutôt à la deuxième vague de Plasticiens comprenant des artistes tels Juneau et Molinari qui orientent tout comme lui leur production artistique vers un dépouillement de la composition en donnant toute l’importance à la couleur dans un espace frontal et en aplat. Tousignant applique ces principes dans une série d’œuvres telles Les taches (1955) où il utilise l’huile sur toile pour réaliser un espace tachiste de couleurs vives sur fond blanc. C’est à travers cette première série d’œuvres que le Musée d’art contemporain de Montréal introduit les spectateurs à Tousignant.

L’artiste réalise, durant cette même année, des tableaux hard-edge en divisant les plans de couleurs par des contours nets pour créer des tensions entre elles. Ces œuvres présentent des lignes extrêmement bien définies dans un espace géométrique dont le sujet est la couleur. Présentées dans la première salle de l’exposition, les abstractions, dont Le lieu de l’infini (1956), montrent l’intérêt que porte Tousignant au rapport entre les couleurs et la structure géométrique qui offre une sensation optique déroutante: « Ce que je veux, c’est objectiver la peinture, l’amener à sa source, là où il ne reste que la peinture vidée de toute chose qui lui est étrangère, là où la peinture n’est que sensation2 ». L’utilisation sur toile d’émail pour automobile qui, lorsqu’il ne se fragmente pas en raison du temps, donne un effet uniforme à la peinture, permet effectivement aux spectateurs de contempler la couleur pour ce qu’elle est.

Au début des années ‘60, la pratique de Claude Tousignant évolue vers l’intégration du motif du cercle dans ses œuvres à deux couleurs de format rectangulaire telles que Violence lucide (1963). Au milieu de la décennie, l’artiste abandonne toutefois le format rectangulaire pour adopter le motif circulaire comme forme même du support pour ainsi réaliser trois séries: Transformateurs chromatiques (1965), Gongs (1967) ainsi qu’Accélérateurs chromatiques (1969). Toutes les toiles de ces séries furent à la base d’un concept unique fondé sur une démarche scientifique précise, orientée vers le calcul des éléments composant les toiles, dont la couleur et les formes. La série Accélérateurs chromatiques est considérée comme la plus importante réalisée par Tousignant. Par contre, comme nous l’indique le critique d’art James D. Campbell, le succès de cette série a eu pour effet que la postérité oublie le reste de la production: « […] cette série créa peut-être chez les spectateurs une prédisposition à penser Tousignant uniquement en termes de cercle3 […] .

Après la multitude de couleurs des Accélérateurs chromatiques, de la fin des années ‘70 jusqu’à aujourd’hui, l’artiste revient aléatoirement vers la monochromie ou l’utilisation de deux couleurs. Le Musée d’art contemporain de Montréal a privilégié une exposition chronologique qui permet aux spectateurs d’observer de salle en salle l’évolution des formes au fil des périodes de production de l’artiste: elliptiques, circulaires, rectangulaires, ogivales, carrées, etc. L’exposition Claude Tousignant, une rétrospective permet aux spectateurs de s’émerveiller devant plus de 80 œuvres comprenant peintures, sculptures et installations. Ils peuvent y découvrir avec fascination les jeux de formes et de couleurs des œuvres d’une carrière s’étalant sur une soixantaine d’années. Claude Tousignant, une rétrospective est une exposition à la hauteur du génie artistique de son créateur.

1Marc Mayer, Le magazine du Musée d’art contemporain de Montréal, volume 19, no. 3 (hiver 2008-2009), p. 1.

2France Gascon, « Claude Tousignant: sculpter pour peindre », The Journal of Canadian Art History, vol.7, no. 2 (1984), p. 159.

3James.D. Campbell, After geometry, the abstract art of Claude Tousignant, Toronto, ECW Press, 1995, p. 85.

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