L’art du choc : quand le vécu et le vivant prennent la place du visible
Accélérateur chromatique, GFK bunny, Pieta with Courtney Love : les titres des œuvres sont surprenants, ils nous projettent d’emblée dans un univers atypique, sensoriel, scientifique, caricatural. L’expérience de la déroute tisse le fil improbable auquel chaque article de ce numéro semble se rattacher par le sujet qu’il aborde. Improbable et pourtant guère étonnant, car l’art aujourd’hui, s’offre à vivre, souvent plus qu’à contempler.
Après avoir transformé les modes perceptuels, comme le rappelle le texte de Mélanie Rioux sur la chute de l’aura à l’ère du numérique, puis s’être redéfini comme « expérience », comme en témoigne la démarche de Charles-Antoine Blais-Métivier, l’art a maintenant investi le domaine du vivant, avec des manipulations génétiques et des performances à caractère posthumain. Les auteurs de ce numéro aiment évoquer la labilité des frontières du domaine artistique. Pourtant, il y a à peine plus de cinquante ans, la vocation de l’art consistait à révéler la vérité du visible, voire de l’invisible, à travers une représentation chargée de la traduire. Tousignant nous rappelle le tournant de cette époque; parce que dans la postmodernité, il n’est plus guère question de vérité universelle, de même que l’art ne saurait aujourd’hui limiter ses déterminations à la question du visible. L’UQÀM a accueilli ce semestre en ses murs une étrange machine « digestive » qui, comme le lapin fluorescent qu’aborde Nadège Fortier, a fait beaucoup parlé. Relevant moins de l’idéalisme que d’une sorte de naturalisme expérimental, moins de la représentation du visible que de celle du vivant, Cloaca no 5 représente bien notre ère artistique. En effet, la technologie et la critique sociale semblent désormais les moteurs les plus puissants de la créativité contemporaine. L’un comme l’autre usent du choc comme ressort, pour surprendre le spectateur et, peut-être, constituer une part de son vécu.
Pourtant, à travers le brouhaha des plus récents tollés soulevés par les dernières limites franchies par l’art et l’extrême sollicitation d’un art qui se réalise dans l’interaction ou la réaction du spectateur, la « plénitude » de l’expérience contemplative est devenue une donnée rare. Voilà pourquoi ce numéro clôt par un commentaire sur l’exposition de la peintre Magalie Comeau; parce que la plus grande surprise, aujourd’hui, est peut-être de pouvoir dire, encore, qu’une œuvre est « belle »; comme un amoncellement de cloches de Claudio Parmiggiani au Collège des Bernardins; comme une photographie poétique et insolite d’une scène dans les dunes, de Shoji Ueda; comme un Monument, de Christian Boltanski. Dire qu’une œuvre et belle et s’arrêter, ému…
Bonne lecture !
Maryse Ouellet