La controverse comme outil de communication

Nadège Fortier

Il est partout et null part. Il s’est démultiplié sans ancrage, sans assise.
Il s’est fait apparaître parce qu’il a disparu.

Régine Robin

Notre siècle sera, selon les sociologues, celui des communications et de l’informationi. Tout événement ou découverte est communiqué à des milliards de gens au bagage de connaissances et aux valeurs extrêmement différents, causant divers effets dans la population. En 2000, Eduardo Kac annonça la « création », en collaboration avec un laboratoire français, de GFPii Bunny, un lapin transgénique fluorescent, rappelant le clonage de la chèvre Dolly. L’INRAiii refusa de laisser l’artiste quitter le laboratoire avec son œuvre-animal de compagnie, créant un vide dans l’exposition Avigno Numérique. L’artiste profita de cette interdiction d’exposer en multipliant les conférences, ce qui eut pour effet de relancer le débat autour des limites ou frontières entre art et science. Les avis fusèrent de toutes parts; certains furent impressionnés de ces prouesses génétiques, d’autres scandalisés.

Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en! La presse fit à Kac une publicité qui le rendit célèbre et provoqua le débat souhaité par l’artiste. Est-ce que manipuler la génétique est un geste artistique? Est-ce que ce genre de manipulations se fait réellement dans les laboratoires et sous quels motifs? Par son œuvre, Kac ouvre la voie à une réflexion couvrant les avancées technologiques qui permettent aujourd’hui de modifier le corpsiv: « L’art […] doit […] nous rendre plus conscients de ce qui existe au-delà de la vue et qui nous touche néanmoins de façon directev. » En effet, la « culture biotech » deviendra de plus en plus importante au cours des prochaines années, tout comme la terminologie des sciences informatiques fait maintenant partie de notre vocabulaire courant. La manipulation du vivant deviendra d’ici le prochain millénaire quelque chose de courant: « Le « Chimie 2000 » de demain sera peut-être une boîte de jeu baptisé « Génétique 3000 » et permettant, avec un minimum d’accessoires, de construire soi-même, dans sa chambre, son propre OGMvi ». N’oublions pas que la compagnie Clones’R’Us a déjà mis sur pied un site webvii permettant de commander un clone de votre vedette préférée!

La naissance de l’animal a fait naître un débat sur la rectitude de la création de nouvelles espèces animales par les laboratoires scientifiques. On traita Kac d’apprenti sorcier, de savant fou. Il reste cependant que l’introduction d’un gène de méduse fluorescent chez le lapin, qui demeure blanc lorsque l’éclairage est autre qu’une lampe aux rayons ultra-violets, est inoffensive pour l’animalviii. L’argument selon lequel de telles expérimentations seraient néfastes pour l’animal s’en trouve éliminé.

Le premier animal GFP était un chien. GFP K-9, dont le projet a avorté, aurait probablement causé un émoi plus important dans la population étant donné la relation particulière qui unit l’homme au chien. Pourtant, selon Kac, c’est l’homme qui a créé le chien, il y a 15 000 ansix. Il serait en effet. à la fois le fruit de la domestication et de l’hybridation de plusieurs canidés11.En somme, l’œuvre de Kac, parce qu’elle est frappante, est un moyen de communiquer et de débattre les effets importants de la science sur notre vie quotidienne. Les transformations qu’il impose au vivant par les biotechnologies ont pour résultat de marquer le public par la nouvelle représentation du vivant, qui devient l’objet, voire la proie, d’un art choquant qui a pour but d’éveiller les masses. L’art est ici un outil de communication et le scandale, de sensibilisation. L’œuvre se veut aussi « une réflexion sur l’âge de l’information, une façon de remonter à ses racines, le code génétique et de tracer une filiation entre l’ADN, le code Morse […] et enfin l’Internetx ». L’artiste peut même revendiquer une dimension écologique pour son art. En effet, accroître la biodiversité semble pour Kac un bon moyen de pallier la disparition annuelle de nombreuses espèces animalesxi. Ainsi, il n’est pas près de cesser de jouer au Docteur Frankenstein. Seulement, contrairement à ce dernier, c’est le vivant qu’il manipule, pas des morceaux de cadavres…

i Mathieu Noury, Analyse sociologique de la représentation du vivant dans l’art transgénique d’Eduardo Kac, Mémoire de maîtrise en sociologie, Montréal, Université de Montréal, 2006, p. 8.

ii « Green fluorescent protein ».

iii Institut national de recherche agronomique de France.

iv Matthew Causey, The Ethics and Anxiety of Being with Monsters and Machines: Thinking Through the Transgenic Art of Eduardo Kac, Dublin, Trinity College, Crossings: eJournal of Art and Technology, © 2001 – 2008, http://crossings.tcd.ie/issues/2.1/Causey/,.

v Noury, op. cit., p. 56.

vi Hervé Ratel, « L’art transgénique », Sciences et Avenir, Décembre 1999, pp. 66-67, consulté sur http://www.ekac.org/scienceetav.html.

vii Voir le site internet de la compagnie DreamTech International (Clones’R’Us) : http://www.d-b.net/dti/.

viii Noury, op. cit., p. 62.

ix Ibid., p. 62-63.

11 Christine McGourty, « Origins of Dogs Traced », BBC News World Edition, Science / Nature, 22 novembre 2002, http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/2498669.stm,

x Ratel, loc. cit,

xi Noury, op. cit., p. 175.

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