Par Claudie Saulnier
Pour certains, le milieu des arts visuels est un cercle fermé; plusieurs sociologues, philosophes et historiens de l’art ont examiné cet état de fait1. Jusqu’à tout récemment, les arts visuels produisaient chez l’observateur l’effet cathartique nécessaire pour éveiller l’intérêt. Or, depuis quelques décennies, il semble qu’un voile d’incompréhension ait recouvert les œuvres d’art actuel pourtant directement liées à notre réalité. En conjuguant l’exclusivité du milieu de l’art à l’incompréhension nouvelle du public, il semble facile de comprendre le manque d’intérêt de la population pour les travaux artistiques plus récents. Suite à un entretien avec Frédéric Loury, propriétaire de la Galerie SAS et fondateur de l’événement Art Souterrain, nous poserons un regard sur les raisons qui provoquent cette situation d’exclusion.
Pour M. Loury, le caractère hermétique du milieu découle essentiellement des gestes posés par les agents du marché de l’art actuel : « L’art actuel se divise en deux volets; il existe un art très figuratif et commercial et un [art] très confidentiel sur le plan de la diffusion. »2 Or, il est possible d’envisager que ce deuxième volet soit responsable de l’anonymat de ses agents : « La faute du milieu c’est de ne pas être fédéré, ajoute le galeriste, on n’a pas de voix auprès du public et des médias. » Bien que la situation exige une étude plus qu’approfondie, il semblerait que le facteur financier ait quelque chose à y voir puisque les multiples institutions culturelles se disputent constamment les sources de financement. Comme dans plusieurs milieux, la compétition est féroce. Toutefois, la situation dans laquelle se trouve l’art actuel devrait être considérée comme une cause de rassemblement plutôt que comme un marché à proprement parler.
C’est dans ce cadre que s’inscrit Art Souterrain, une exposition de grande envergure qui adjoint l’art à un travail de médiation permettant l’admission du grand public dans le cercle fermé de la création artistique. L’objectif premier est de changer la perception du grand public face à l’art actuel : « […] montrer au public qui nous sommes sous notre vrai jour. » Par ailleurs, il va de soi que l’exposition de masse représentée par le projet propose plusieurs moyens d’offrir de la visibilité aux artistes. En se joignant à la Nuit Blanche du festival Montréal en lumière, Art Souterrain bénéficie d’une publicité variée visant ainsi un public très large.
Le créateur de l’événement a un point de vue tranché sur la question de la visibilité de l’art actuel. Selon lui, le problème est intrinsèque au milieu des arts visuels : le public ne serait pas à blâmer dans la mesure où ce sont les commissaires, collectionneurs, galeristes et artistes qui ont contribué à leur propre anonymat. « Depuis les années 60, depuis le Refus Global en fait, on s’est beaucoup marginalisé. Nous sommes entrés dans une ère confidentielle, exclusive », ajoute le galeriste. En comparant le marché des arts visuels à celui de la musique, ce dernier explique comment l’évolution a été dramatique entre 1960 et aujourd’hui « si on faisait écouter de la musique actuelle à quelqu’un qui n’a rien entendu depuis 1960, il serait choqué ». C’est là que repose tout le problème. L’évolution des arts visuels suit un cours normal, mais le manque d’informations livrées au public rend les œuvres d’art actuel choquantes, voire incompréhensibles.
C’est dans l’espoir de contrecarrer l’écart grandissant entre les arts actuels et le grand public qu’Art Souterrain a été créé en 2008. Le circuit de 3,5 km, qui est devenu en l’espace d’une année une des plus grandes expositions d’art actuel en Amérique du Nord, prend place dans le Montréal souterrain : « La ville souterraine est le lieu le moins anodin à Montréal, nous dit le fondateur le l’événement, c’est celui dont on parle le plus à l’étranger.» Or, pour Loury, le concept de ville souterraine est faussé et nécessite, pour se concrétiser, la création d’un enracinement culturel. L’un des buts d’Art Souterrain est donc de donner une couleur culturelle à cette partie dissimulée du paysage montréalais.
L’innovation principale mise en branle par l’équipe d’Art Souterrain est, sans doute, le positionnement de médiateurs culturels tout au long du parcours. Si cette pratique est répandue en Europe, il en va autrement en Amérique du Nord qui en est à ses balbutiements en matière de médiation. Bien que le concept soit méconnu, il pourrait être des plus bénéfiques par son apport à la démocratisation de l’art. « Ce qui est particulier au monde des arts visuels, c’est que les gens pensent qu’ils doivent avoir des connaissances pour comprendre», nous dit Loury. C’est sur ce plan que les médiateurs entrent en jeu. Tous disposés à recevoir les questions du public ou à simplement discuter de perceptions avec lui, les médiateurs sont là afin que les visiteurs puissent s’informer à leur guise. Que ce soit pour parler d’une œuvre en particulier, du processus de création d’un artiste ou du monde de l’art en général, la timidité n’a pas lieu d’être.
Peu importe la complexité apparente des œuvres présentées par Art Souterrain, il n’en demeure pas moins que celles-ci deviennent plus claires et accessibles au plus grand nombre par le biais de la médiation. Toutefois, bien que plusieurs soient enchantés par l’ouverture nouvelle du milieu, certains seront contre la diffusion de masse des arts. Pour Frédéric Loury, il s’agit d’une chance à saisir : « Peut-être, et je dis bien peut être, parce que c’est aléatoire et parce qu’on est encore vachement fragiles, mais on a peut-être l’occasion de faire la différence. »
La deuxième édition d’Art Souterrain se déroulera durant la nuit du 27 février au 1 mars et se prolongera jusqu’au 12 mars 2010.
1 Pensons, entre autres, à Jean-Phillipe Domecq, Jean Clair et plus près de nous, Jean-Pierre Béland qui se sont tous penchés sur la question de l’élitisme en art au début des années 1990 lors de la « crise » de l’art contemporain.
2 Propos de Frédéric Loury recueillis par l’auteure, entrevue ayant eu lieu jeudi le 1er octobre 2009. Toutes les citations sont issues cette même entrevue.