Réflexions sur le message de l’exposition en dialogue avec l’identité de l’institution
[02/13] 3000 ans d’histoire, le temps d’une esthétique
Comment se délecter devant une sculpture représentant une scène sexuelle entre une femme et un squelette ou devant un modèle réduit de personnages en procession transportant une calebasse géante? Le visiteur restera surpris devant ce spectaculaire défilé de 350 artefacts témoins d’un foisonnement culturel rythmé par les aléas migratoires de plusieurs empires. Mochicas, Chimús, Lambayeques, Incas, Castillans sont tous des peuples qui ont forgé l’histoire matérielle d’un territoire géographique connu comme le Pérou et c’est celle-ci qui est répertoriée dans l’exposition Pérou : royaumes du Soleil et de la Lune présentée jusqu’au 16 juin 2013 au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). D’emblée, on salue le travail de ce dernier dans la production et l’éventuelle mise en tournée de cette exposition qui a nécessité la collaboration d’une cinquantaine d’institutions publiques et privées pour rassembler, documenter et diffuser ces trésors. Toutefois, l’objectif de cette exposition reste à notre sens superficiel : une muséologie d’objets, typique à l’institution de beaux-arts, qui laisse le regard du visiteur au degré de l’enchantement exotique, perdant l’opportunité de comprendre une science du monde complexe et avertie.
Se lisant comme les chapitres d’une histoire fantastique, les différentes salles de l’exposition débutent avec ce qui est présenté comme la naissance d’un imaginaire cosmogonique. Dans le premier, ce sont les mythes déchiffrés dans les artefacts qui sont décrits d’une façon univoque par des panneaux introductifs pour chacune des salles. Dualité entre vie et mort, entre jour et nuit, entre bien et mal, ou manifestations des pratiques de sacrifices, sont des exemples organisationnels davantage thématiques que chronologiques confondant différentes cultures de différentes époques sous ces aspects symboliques. Le chapitre de cet hypertexte de « l’avant » colonial est fermé par une salle-vidéo montrant des paysages et des merveilles, aménagée comme une bibliothèque foisonnante de tout ce qui reste de poterie à interpréter.
Franchissant le pas vers un univers de plus en plus référentiel pour le visiteur montréalais, ce dernier découvre ensuite un corpus d’oeuvres appartenant à l’histoire classique de l’art teintée d’une forte hybridité symbolique : c’est l’histoire des siècles de colonisation des Incas par les Espagnols. Ce corpus iconographique contient toute une histoire conjoncturelle de l’imaginaire andin qui mériterait plus de pistes de lecture. En effet, si l’influence espagnole dans l’École de Cuzco est mentionnée, il y a mécompréhension que des peintres péruviens comme Marcos Zapata recevaient un enseignement de maîtres européens comme Bernardo Bitti sur le sol d’une vice-royauté en effervescence interactive et qu’ils diffusaient une image puissante de ce nouveau culte mi-catholique mi-inca. Les objets de l’exposition sont les témoins idéals de ce phénomène de contact lui-même au service du développement humain. C’est le dernier chapitre qui concilie le plus une évolution des genres picturaux à la manière d’un musée des beaux-arts de tradition occidentale. Les mouvements artistiques du XXe siècle inspirés des réalités rurales y sont présentés, ravivant ainsi un passé bucolique et romantique vers une affirmation identitaire et nationaliste. L’indigénisme dont il est question aurait permis aux communautés d’affirmer leur identité autochtone par un art représentatif de toutes les classes et spécificités de la société péruvienne. Ce courant, comme analogue aux peintures costumbristes ou expressionnistes se développant alors en Europe, entretient un lien de fraternité avec l’évolution picturale de ce continent.
Modeler les repères esthétiques
Tout ce cheminement donc, ce parcours linéaire dont l’horizon est tracé par les signifiants de l’Occident, entraîne-t-il vers l’objectif d’élever au rang d’objets d’art les objets des cultures péruviennes occidentalisées? Certes, le langage de l’espace mise sur une appréciation des plus esthétiques. En effet, le premier chapitre mythique nous installe, par le moyen d’un éclairage pointé sur les œuvres dans une ambiance à la fois intime et obscure, intrigante et théâtrale. Les socles à hauteur d’humain sont disposés en cercles cérémoniels autour desquels il est toujours possible de se déplacer afin d’apprécier la totalité des facettes de l’oeuvre. Protégé par une vitrine de plexiglas, chaque objet est identifié par un cartel révélant un titre descriptif et bref, une énumération des matériaux, l’association à sa culture et l’ère de celle-ci et l’institution de laquelle l’objet provient. Parfois, dans un ratio d’environ 1/8, un cartel allongé est placé en retrait des objets, faisant le pont entre le panneau introductif et les éléments formels évoquant ainsi une certaine matérialité des symboles.(…)
Voir l’intégralité de l’article :Dossier muséographique : langages mobiles 3000 ans d’histoire, le temps d’une esthétique*
Écrit par Gabrielle Larocque