Portfolio d’artistes:Cassandre Boucher, créatrice de la page couverture : l’éclatement de la matière

Architecture des possibles 2013


« Pourquoi faire comme tout le monde ? La peinture manque d’originalité et de spontanéité, c’est une chose qu’on peut faire par l’action »[i], déclare Cassandre Boucher, finissante au Baccalauréat en arts visuels et médiatiques à l’UQAM. Celle-ci insiste sur le fait qu’elle ne désire ni correspondre à un certain type d’artistes ni avoir une pratique spécifique. Pour ce faire, sa pratique mélange peinture et art d’impression tout en ajoutant parfois d’autres médiums qui lui tombent sous la main. L’improvisation, l’imprévisibilité, l’action et la destruction dans ce type d’œuvres renvoient au processus même de la création tout en demeurant complexes, car il ne s’agit pas seulement d’un art pictural, mais également d’un art d’investigation, expressive en tout point.

Sa démarche s’oriente vers l’imprévu du résultat en procédant de manière à la fois méthodique et hasardeuse. En effet, Boucher mentionne « [qu’à] mi-chemin entre l’intuition et l’improvisation, c’est dans l’action que s’élaborent des compositions où la matérialité cohabite avec la représentation. [Elle conçoit] l’image en tant que vecteur mémoriel, par opposition au geste, qui s’inscrit dans l’instant présent.ii »

En ce qui concerne l’aspect mémoriel, il faut noter que l’inspiration majeure de l’artiste demeure la photo, soit une image liée à la tradition, à l’icône et au souvenir et offrant un potentiel visuel. L’image est déconstruite afin de créer un mouvement visuel qui se combine bien avec les médiums choisis. C’est ce qu’on observe dans son œuvre Une souris verte, qui courait dans l’herbe, Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs de 2011, qui se situe entre peinture et sérigraphie. Dans cette œuvre, la figure humaine provient d’un cliché sur lequel un jeune garçon sembler poser. Cette photo comporte des défauts, c’est-à-dire des points lumineux et des zones ombragées, qui sont mis en relief par sa reproduction sérigraphique et des touches de peinture. Cette stratégie de décomposition de la photo fait en sorte que les composantes formelles impersonnelles deviennent des éléments de contemplation.

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L’action comme empreinte de l’artiste

L’intervention physique dans l’oeuvre bidimensionnelle témoigne de l’implication corporelle de la créatrice, produisant une matérialité pendant le processus. Ainsi, Lieux mnémoniques (2011) est la reproduction sérigraphique d’une pièce significative pour l’artiste, qui devient cependant un arrière-plan banalisé au profit de la masse de peinture qui s’impose au premier plan. Les éclats et fissures dans cet amas d’époxy et d’acrylique matérialisent l’implication vive de Boucher. La trace de l’artiste et la corporéité de l’oeuvre sont devenues au fil du temps ses préoccupations charnières. Elles correspondent à son souci de la virtuosité de l’artiste et à son implication corporelle dans l’œuvre d’art.

C’est ce qui l’a amenée à déployer une multitude de modes artistiques hybrides combinant plusieurs pratiques, savoir-faire, techniques et médiums. En vertu de cette préoccupation envers le visible, la trace met au premier plan « le processus de création artistique et puise à même l’héritage des pratiques improvisées, dites intermédiaires et conceptuelles, qui sont des pratiques axées sur le processus.v » Ainsi, dans l’oeuvre de Boucher, l’improvisation, la fragmentation et la destruction sont génératrices d’un mouvement libre, réel et dynamique à même une surface plane. L’altération de ses oeuvres ne signifie pas le malheur lié à la perte de la mémoire, mais bien la nostalgie qui détruit l’unité statique des oeuvres bidimensionnelles.

L’anticonformisme de cette artiste l’inscrit dans une zone grise. Ceci nous amène à nous questionner sur la validité de l’association entre la création et l’art et sur la valeur de la destruction comme non-art ou comme nouvelle forme d’art. C’est l’idée que soulève le critique d’art André Fortin :

[…] il faut y voir aussi une mutation de la conception de l’art et de l’artiste. L’art n’apparaît plus tant comme un objet que comme un processus. L’oeuvre est dans le faire et non dans l’objet qui en résulte, celui-ci devenant simple trace de ce faire. L’objet perd ainsi de son importance et l’oeuvre peut être aussi bien dans le « défaire » que dans le « faire »; […] Mais si on déclare que ce geste (de destruction) est lui-même une oeuvre, c’est qu’on conçoit l’art comme geste.vi

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Cassandre Boucher,Lieux mnémoniques, 2012, sérigraphie et époxy sur plâtre, env. 122 x 122 cm. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Cette mutation dont parle l’auteur explique la fusion des pratiques, provoquant ainsi un regain d’intérêt pour la matière de la part de l’artiste, tel qu’en témoignent les exemples précédents.

La destruction, caractère dynamique sur une surface

À partir de cette notion de destructionvii, le caractère dynamique du geste produisant des craquements, brisements, tiraillements, etc., produit une tridimensionalité. C’est notamment le cas de Palimpsesteviii (2013), une oeuvre imprimée sur du plâtre, soit un matériau normalement utilisé en sculpture, qui est ensuite brisé de sorte qu’il prenne la forme de l’angle formé par le mur et le sol. Boucher affirme qu’elle occasionne quelque chose de nouveau sur les plans perceptif et formel à partir de craquements au moment de la création. Cette action fait partie intégrante de la démarche de l’artiste puisque la déformation permet la formation d’éléments dynamiques détruisant l’homogénéité de la composition :

Je n’hésite pas à cacher, altérer, voire détruire les images que je crée ou des parties de celles-ci. Le support est un objet. Je le perce, le casse, saute dessus à pieds joints, le maltraite. L’image d’origine y est immolée. […] Naissent alors de nouveaux effets visuels, oscillants de l’iconoclasme soigné à l’édification saccagée.ix

Dès lors, la pluralité des styles formels et l’exécution deviennent complexes étant donné les multiples directions que peut prendre l’oeuvrex.

En fin de compte, ce type de tension nous oblige à réfléchir sur la définition même de l’art, car il existe actuellement un pluralisme esthétique dont témoignent les oeuvres de Cassandre Boucher. Ses réalisations artistiques sont à la fois porteuses de mémoire et d’action et visent une exploration ne pouvant pas, pour le moment, se voir accoler une seule étiquette, mais plutôt plusieurs. Cette artiste explore les contraintes fonctionnelles du médium, ce à même la surface par les arts d’impressions et par le corps. De ceci résulte un autre langage visuel faisant appel non pas à la peinture, mais à une prise de position.


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Cassandre Boucher, Palimpseste, 2013, Installation, sérigraphie et transferts sérigraphiques sur plâtre, env. 122 x 183 cm. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

[i] Cassandre Boucher, « La démarche artistique de Cassandre Boucher », Entrevue réalisée par Johanne Marchand lors de l’exposition Architecture des possibles à l’église Sainte-Brigide de Kildare du 15 au 24 mars 2013, Montréal, 20 mars 2013, durée 44 min 13 sec. Format MP3

ii Ibid.

iii Amelia Jones, « Les traces matérielles, la temporalité et le geste en art contemporain », Essai, Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia, exposition, Les traces matérielles, la temporalité et le geste en art contemporain. 2013, Édition et impression, Quadriscan, Galerie Leonard & Bina Ellen p.34

vi Andrée Fortin, « Détruire le mythe », Revue Inter : art actuel, n° 75, Montréal, 2000, p. 30-31.

vii La destruction qui consiste à détruire, à altérer, voir à réduire à néant un objet ou autre. : Par Andrée Fortin, « Détruire le mythe», Revue Inter : art actuel, n° 75, Montréal, 2000, p. 30-31.

viii Palimpseste, 2013, sérigraphie et transferts sérigraphiques sur plâtre, 48 x 72 pouces, photo : courtoisie de l’artiste

ix Cassandre Boucher, « La démarche artistique de Cassandre Boucher » Entrevue réalisé par Johanne Marchand, lors de l’exposition Architecture des possibles, Montréal, mercredi le 20 mars 2013, durée 44 min 13 sec. Format MP3

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