Patricia Bérubé
Grande Rivière de Peter Doig, 2001-2002
Photo : Patricia Bérubé
L’hiver vous pèse ? Vous éprouvez le besoin de voyager, mais vous n’en avez pas les moyens? Profitez-en donc pour aller au Musée des beaux-arts de Montréal et jetez un coup d’œil à l’exposition de Peter Doig. Vous en ressortirez à la fois charmés et assurément dépaysés ! Présentée du 25 janvier 2014 au 4 mai prochain, cette exposition regroupe les œuvres que l’artiste a réalisées depuis qu’il habite à Trinidad, soit 2002. Doig s’inspire ouvertement de grands peintres tels que Bonnard, Matisse, Gauguin, Munch ou encore James Wilson Morrice et Tom Thomson[i]. En s’appuyant sur ce savoir historique, il parvient à créer un style unique dans lequel il incorpore parfois des lignes cloisons, des aplats de couleurs ou encore des portraits réalisés de façon expressionniste un peu à la manière de Munch.
Un artiste de renommée mondiale
Peter Doig est né à Édimbourg en 1959 où il n’habitera qu’un an, puisque sa famille déménage à Trinidad où il passe une partie de sa jeunesse. Puis, en 1966, un second déménagement le mène à Montréal. À l’âge de 20 ans, Doig s’installe à Londres où il entame ses études en beaux-arts à la Wimbledon School of Art ainsi qu’à la Saint Martin’s School of Art. En 1986, l’artiste revient à Montréal et y restera pendant trois ans avant d’aller poursuivre une maîtrise à la Chelsea School of Arts de Londres.
En 2002, le retour de Doig à Trinidad, moment charnière dans sa carrière, marque le commencement d’une nouvelle étape dans sa production artistique. En raison du nombre d’années qu’il y a passées, notamment durant son enfance, puis en 2000 pour un bref séjour dans une résidence d’artistes, on remarque que cette île occupe une place toute spéciale dans son processus créatif. Ainsi, ses œuvres rappellent fréquemment l’exotisme des paysages de Trinidad tant au niveau des couleurs utilisées que de la représentation de végétaux propres aux Antilles.
Red Boat (Imaginary Boys) de Peter Doig, 2004
Photo : Patricia Bérubé
En 2008, la Tate Britain présente une rétrospective du travail de Peter Doig, soulignant du même coup la richesse de son œuvre ainsi que son apport à l’art contemporain. Cette exposition sera suivie d’une autre, quelques mois plus tard, au Musée d’art moderne de Paris, Doig étant dorénavant considéré comme une personnalité immanquable de la peinture britannique[ii].
Une exposition habilement présentée
Le Musée des beaux-arts de Montréal s’associe aux National Galleries of Scotland pour présenter cette première grande exposition sur Peter Doig. Celle-ci fait suite à la rétrospective organisée par la Tate Britain en 2008. Nulle terre étrangère est une exposition incontournable, puisque l’artiste termine un maximum de deux tableaux par année : sa prochaine grande exposition n’aura ainsi pas lieu avant encore huit ou dix ans.
Avant toute chose, précisons que les salles de l’exposition temporaire ont été spécialement aménagées afin de céder toute la place à l’œuvre de Doig. D’abord, les murs blancs permettent de faire ressortir la vivacité des couleurs de ses tableaux. D’autre part, en raison de leur couleur gris anthracite, on en vient à ne plus remarquer les plafonds, ce qui permet de ne pas distraire le regard du spectateur. Enfin, les pièces sont vastes, ce qui permet d’apprécier pleinement le grand format des tableaux.
Nulle terre étrangère de Peter Doig au Musée des beaux-arts de Montréal, 2014
Photo : Patricia Bérubé
Par ailleurs, qu’il s’inspire de ses nombreux voyages ou encore des artistes qu’il apprécie beaucoup, Peter Doig réalise des séries d’œuvres autour de thématiques précises telles que les dessins de Daumier, les bateaux, les murs et les pélicans. L’artiste cherche à représenter ces sujets à l’aide de lignes contours tout en portant une attention particulière au choix des couleurs. Dans ses œuvres, Doig démontre son intérêt pour la tradition décorative et son talent de coloriste est manifeste.
Affiches du STUDIOFILMCLUB par Peter Doig
Photo : Patricia Bérubé
De plus, cette exposition est très particulière puisqu’on y retrouve également une partie de la démarche artistique de l’artiste. En effet, plusieurs murs sont consacrés à des études préparatoires qui démontrent bien les préoccupations de l’artiste à propos de la composition de ses œuvres. Cette partie de l’exposition comprend également un bon nombre d’affiches que Peter Doig a réalisées sur papier, dans le cadre des projections cinématographiques du STUDIOFILMCLUB, qu’il organise avec Che Lovelace.
Coups de cœur
Bien que l’exposition regroupe une remarquable sélection de tableaux de grands formats et d’œuvres sur papier, je dois admettre que deux œuvres ont tout particulièrement retenu mon attention.
La première œuvre, datant de 2006, s’intitule Paragon et dégage une atmosphère mystérieuse qui se trouve accentuée par l’utilisation des couleurs. Le coin supérieur gauche du tableau ainsi que la surface que l’on peut associer à de l’eau sont représentés en pourpre avec une facture plutôt sinueuse. Cela offre un contraste très intéressant face à la plage qui attire immédiatement notre regard par l’intensité de sa couleur orange. On observe quelques montagnes et aussi des palmiers au loin, ce qui ajoute à l’exotisme de la scène. De plus, quelques personnages sont à bord d’une barque blanche et ils sont reconnaissables uniquement à leurs silhouettes floues. Enfin, ce tableau s’impose par sa taille ainsi que l’harmonie de sa palette qui nous donne envie de nous arrêter un moment, le temps de comprendre l’histoire qui y est racontée.
Paragon de Peter Doig, 2006
Photo : Patricia Bérubé
Ensuite, il m’est impossible de passer sous silence Cricket Painting, cette peinture qui aura nécessité six années de travail avant d’être complétée en 2012. Elle n’est pas sans rappeler le travail de Gauguin, riche en aplats de couleurs. La complémentarité du bleu et de l’orange sied bien à cette composition à la limite du figuratif et prenant place dans ce qui semble être un univers imaginaire. La présence de trois personnages, étalés sur une ligne diagonale fictive, permet de mieux orienter le regard à travers les nombreux aplats de couleurs vives. À cet égard, il est intrigant d’observer le dernier personnage, qui se trouve au fond à droite, dont la transparence suscite un questionnement sur sa relation avec les deux autres individus. Bref, pour toutes ces raisons, ainsi que pour l’émotion que la vue de cette œuvre me procure, je considère que Cricket Painting figure parmi les toiles à ne pas manquer dans cette exposition.
Cricket Painting (Paragrand) de Peter Doig, 2006-2012
Photo : Patricia Bérubé
En ajoutant un artiste d’un tel calibre à sa programmation, le Musée des beaux-arts de Montréal, sous l’égide de sa directrice et conservatrice en chef, Nathalie Bondil, débute l’année 2014 en force.
Nulle terre étrangère de Peter Doig est une incursion dans un monde exotique et singulier, qui agit sur le citadin transi comme une brise tiède venue du sud.
Nulle terre étrangère – Peter Doig
25 janvier – 4 mai 2014
Musée des beaux-arts de Montréal
1380, rue Sherbrooke Ouest, Montréal
Métro Peel
Mardi, jeudi et vendredi : 11h à 17h, mercredi : 11h à 21h, samedi et dimanche : 10h à 17h
[i] Musée des beaux-arts de Montréal, « Peter Doig », En ligne. <http://peterdoig.mbam.qc.ca/artiste/>. Consulté le 5 février 2014.
[ii] Musée d’art moderne de la ville de Paris, « Peter Doig », En ligne. <http://www.mam.paris.fr/fr/expositions/peter-doig>. Consulté le 5 février 2014.
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