L’atelier d’Agnès Reynaud
Crédits: Agnès Reynaud
Par Alexis Lapointe
Agnès Reynaud
Crédits: Agnès Reynaud
Voyageant d’une œuvre figurative inspirée par la culture noire et rasta jusqu’à l’abstraction et la sculpture, l’artiste montréalaise Agnès Reynaud gagne en reconnaissance et multiplie les volte-face. Les couleurs aussi chaudes que contrastées des œuvres de celle qu’on surnommait la Gauguine en Martinique attestent bien de sa trajectoire métissée. En 2013, elle publiait Le crack : les cailloux de l’enfer, un livre coup-de-poing témoignant sans faux-semblants de sa victoire sur la drogue. Portrait d’une combattante.
« J’ai eu plusieurs vies dans une vie », lance Agnès Reynaud. La conversation se noue sous l’œil des toiles accrochées aux murs de son atelier du quartier Notre-Dame-de-Grâce. L’œil d’un miroir multiple. Alors qu’elles dévoilent aussi bien la lumière d’un jour éclatant que les affres noires de la nuit, on croirait que ses œuvres clignotent. Quel est le fil conducteur animant ce courant? « Dans mon art comme dans ma vie, aussitôt que je sens qu’une routine s’installe, je me mets dans l’inconfort », souffle l’artiste. Sourire affable aux lèvres et arborant fièrement ses dreadlocks, elle parle de sa création.
Agnès Reynaud est née en France. Le berceau de sa carrière artistique se trouve toutefois dans les Caraïbes, en Martinique. Elle y a vécu son adolescence et le début de sa vie adulte. « Mes œuvres étaient alors des paysages très antillais, teintés par une lumière qu’il n’y a pas ici », dit celle qui allait s’établir au Québec en 1996 : « Je peignais les femmes noires de l’île. On m’appelait la Gauguine parce que toute jeune, j’avais déjà les couleurs de Gauguin. »
Aujourd’hui, son œuvre se révèle marquée par l’abstraction. Une abstraction texturée au point de flirter avec le bas-relief mais intégrant également divers matériaux, dont certains proviennent de la nature. En 2009, l’artiste présentait même à la galerie Flowerbox de Montréal une série d’œuvres traversées par des plantes : les Jardins de l’Art Suspendu. Celle qui se définit comme éco-militante affirme que sa démarche artistique consiste à honorer la Terre-Mère. « Cet esprit de retour aux sources est partout dans mes œuvres », indique-t-elle : « Je dénonce de manière subtile. »
Dans une toile (Déracinement, 2014) qui se trouvait accrochée à un mur de son atelier lors de l’entrevue, un même corps représente à la fois un arbre et une femme. Tout comme sa sculpture, l’art pictural d’Agnès Reynaud regorge de symboles. L’artiste crée également à partir de divers objets (miroirs, lampes, portes de placard, etc.) que les gens ne veulent plus. Une production inventive qui lui permet de rester accessible à différents budgets et de vendre dans les marchés de Noël qu’organisent plusieurs galeries. « Je suis multidisciplinaire, touche-à-tout, dit-elle. Je ne m’arrête pas à un type de création. »
Déracinement, 2014
L’œuvre Déracinement est exposée jusqu’au 30 janvier 2015 au Centre culturel Simon Bolivar (394, Boulevard de Maisonneuve Ouest).
Crédits: Agnès Reynaud
La tentation, 2013
La tentation, présentée à la Galerie du Mile End à l’été 2013 dans le cadre de l’exposition solo L’Art Öm.
Crédits: Agnès Reynaud
Symphonie en art majeur, 2013
Depuis quelques années, Agnès Reynaud met au jour une œuvre sculpturale prolifique en utilisant le Paverpol.
Crédits: Agnès Reynaud
Cinéma de la renaissance
En 2013, Agnès Reynaud faisait paraître Le crack : les cailloux de l’enfer chez Béliveau. Ce récit autobiographique haletant et émouvant véhicule une puissante détermination. Un livre qui se distingue par son audace puisqu’il est un des premiers à aborder la question de la consommation de crack de manière aussi directe. Les images déferlant de page en page s’impriment avec force sur l’esprit. « Ça pourrait devenir un film », note l’auteure.
Agnès Reynaud, Le crack : les cailloux de l’enfer (Béliveau Éditeur, 2013)
Crédits: Agnès Reynaud
Ce cinéma de la renaissance personnelle continue d’inspirer. Plusieurs maisons de thérapie mettent l’ouvrage à la disposition de leurs usagers et les médias font régulièrement appel à l’artiste pour parler de la drogue qu’elle met à nu. D’ailleurs, Agnès Reynaud vient d’entreprendre des études universitaires en toxicomanie. Elle mijote aussi de nouveaux projets d’écriture. « J’ai énormément de gratitude pour tout ce que j’ai vécu et je recommencerais tout de la même façon sans rien changer, confie-t-elle en conclusion de son livre : « Chaque personne rencontrée a eu son importance, chacun de mes choix aussi. »