Usine à fantasmes

Exposition Inoculation à l’Usine 106u, février 2015
Crédits: Jean Martin (Raven)

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Éric Braün
Crédits: René Bellefeuille

Par Alexis Lapointe

Créée et dirigée par l’artiste Éric Braün, l’Usine 106U vise à mettre en lumière un art figuratif hors-norme n’hésitant pas à défier les conventions. À l’occasion du vernissage de l’exposition érotique Inoculation le 5 février dernier, la galerie faisait paraître un livre illustrant de manière satirique les perversions décrites par le psychiatre autrichien Richard Von Krafft-Ebing dans un ouvrage paru en 1886, Psychopathia Sexualis. Regard sur une création éclectique en marge des institutions.

« Culture pop, cartoon, BD, pub, graffitis obscènes », énumère Éric Braün en élaborant sur les influences des artistes exposant à l’Usine 106U : « Ce que nous mettons de l’avant s’inspire de tout ce qui n’est pas considéré comme de l’art, mais reste un matériel visuel riche. » Celui qui se définit avec humour comme un galeriste de choc rassemble sur les murs de l’Usine 106U les œuvres de dizaines d’artistes dans le cadre d’expositions délibérément provocantes. Il poursuit aussi un travail d’édition, publiant de façon trimestrielle une revue gratuite (106U Magazine) de même que des livres d’art : « L’ouvrage de Richard Von Krafft-Ebing répertoriait 379 perversions » note Éric Braün à propos du plus récent de ces livres, « Nous avons entrepris de les illustrer en cinq tomes. »

Collaborateur d’Éric Braün, l’artiste Jean Martin, alias Raven, crée des collages à partir des affiches placardées aux murs de la ville. « Nous diffusons une forme d’art qui vient directement du ‟lowbrow” », soulève-t-il, évoquant un courant qui a pris naissance à Los Angeles dans les années 1980 et qui signifie les « sourcils bas », en opposition aux attitudes hautaines que peut générer l’art plus élitiste. « La galerie n’est essentiellement pas commerciale », dit-il. « Nous voulons être accessibles aux artistes comme au public et promouvoir la relève. Nous avons dix artistes permanents, auxquels une vingtaine d’autres viennent s’ajouter chaque mois. »

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Éric Braün, Déconstruction, 2010
Crédits: Éric Braün

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Raven, Personal histories, 2014
Crédits: Jean Martin (Raven)

Mise à nu

« Nous sommes des artistes qui ne nous contentons pas de rester dans la norme pour plaire », affirme Mélissa Gendron, alias Mélipoint G. Celle-ci mentionne que l’aspect sexuel se trouve au cœur de son œuvre, mais que sa participation à l’exposition Inoculation lui a permis de développer un autre regard sur l’érotisme. « C’est un art que les gens jugent comme immoral, mais il reflète une dimension essentielle de l’être humain  qu’il est libérateur de ne pas passer sous silence », note-t-elle, rappelant qu’il s’agissait d’une forme de création que privilégiaient de grands artistes comme Picasso. L’artiste de Saint-Hyacinthe, qui conjugue diverses techniques comme l’acrylique et la poterie, révèle que l’Usine 106U a été le lieu de ses premiers pas dans l’univers montréalais de l’art. « Je suis fière de ce que je suis », dit-elle, « [et] je n’ai pas peur de transgresser, de déranger. Je tiens à rester authentique. »

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Mélipoint G, Joëlle, 2015
Crédits: Mélissa Gendron (Mélipoint G)

Peintre et cinéaste, l’artiste montréalais Toly A.K. présentait quelques-unes de ses toiles dans le cadre de l’exposition Inoculation. « Je crée une œuvre noire qui atteste de drames que j’ai vécus, comme la mort de certains amis, mais mon travail est aussi très critique. Je porte souvent une réflexion sur l’argent et le pouvoir et dans le cas de mes toiles présentées en février, c’était sur le sexe », confie celui qui a poursuivi sa carrière artistique durant quelques années à Vancouver, puis à San Francisco. « L’Usine 106U est comme une petite famille », dit-il, «[elle] me permet de vendre à des prix accessibles et ainsi de rejoindre plus de gens. Compte tenu que je puise beaucoup mes influences chez des artistes du mouvement ‟lowbrow” comme Robert Williams et Coop (Chris Cooper), je m’y retrouve bien. »

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Toly A.K.
Crédits: René Bellefeuille

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Stéphanie Garenote
Crédits: René Bellefeuille

L’auteure Stéphanie Garenote vient régulièrement à l’Usine 106U. « Ce que j’aime ici est que personne ne se cantonne à un style traditionnel, on va dans l’inavouable, en particulier avec Inoculation, on se met à nu et on l’assume », dit-elle. D’ailleurs, elle vient de faire paraître un disque, Le triomphe de la nausée, sur lequel elle récite certaines de ses nouvelles avec la musique du groupe Noizvalv (dont fait partie Éric Braün) en filigrane. « Je suis heureuse de participer à des projets collectifs », dit-elle. « Je crois que l’Usine 106U arrive à bien réunir différentes pratiques, différents médiums autour d’un même esprit et cela constitue en soi un accomplissement. »

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