Le Louvre, version BD

4eme de couverture de l'album La Travers+®e du Louvre_David Prudhomme

Quatrième de couverture de l’album La Traversée du Louvre
Crédit : David Prudhomme/Futuropolis, Éditions du Musée du Louvre.

Par Ghada Belhadj

Il y a quelque chose de la bande dessinée dans un musée. C’est ce que l’on constate forcément à voir les cadres et les vitrines se succéder comme des cases ouvertes sur des histoires et des mondes étrangers. Parmi les auteurs invités à collaborer à la collection de bandes dessinées publiée depuis 2005 conjointement par les Éditions du Musée du Louvre et Futuropolis, certains n’ont d’ailleurs pas manqué de le remarquer : un « Alphabet d’images » pour Nicolas de Crécy[i]  ou une « BD géante » pour David Prudhomme[ii], le musée, en particulier celui du Louvre, peut s’aborder tel un univers narratif, bien plus qu’une simple succession d’œuvres que seul le hasard aurait rassemblées sous un même toit.

Sous l’instigation de Fabrice Douar, directeur de la collection de bandes dessinées depuis sa création, le mythique musée parisien s’est vu honoré par une succession de bédéistes qui, année après année, ont su offrir leurs regards singuliers et très personnels sur l’institution. Loin des publications savantes ou des produits dérivés, ces bandes dessinées abordent le Louvre à travers la fiction, privilégiant l’impression au documentaire. Chaque volume peut se lire comme une réflexion sur les notions d’art et de musée. Alors que quatre titres étaient prévus au départ[iii], dix bandes dessinées ont été publiées dans la collection, sans compter L’Art du chevalement par Loo Hui Phang et Philippe Dupuy dédié, pour sa part, au Louvre Lens[iv].

Couverture de l'album Periode Glaciaire_Nicolas de Crecy

Couverture de l’album Période Glaciaire
Crédits : Nicolas de Crécy/Futuropolis, Éditions du Musée du Louvre

Tout commence par le futur, dans Période glaciaire de Nicolas de Crécy. Située dans un avenir glacé où toute mémoire de notre civilisation contemporaine aurait disparu, l’intrigue voit un groupe d’explorateurs « tomber » — littéralement — sur le fameux palais du Louvre désormais enfoui sous les glaces. L’auteur s’amuse à imaginer les interprétations faites par des personnages dépourvus de notions d’anthropologie et d’histoire de l’art des œuvres qui y sont exposées.

Le D+®partement des copies_Planche 5 extraite de l'album Les sous-sols du r+®volu_Marc-Antoine Mathieu

« Le Département des copies », extrait de l’album Les Sous-sols du Révolu
Crédits : Marc-Antoine Mathieu/Futuropolis, Éditions du Musée du Louvre

Marc-Antoine Mathieu propose pour sa part une virée surréaliste dans les coulisses du Louvre. Les Sous-sols du révolu est un album où l’on retrouve l’univers kafkaïen et les mises en abîme si chères au bédéiste. La Pyramide du Louvre, dont les côtés se prolongeraient sous terre, accueillerait ainsi une galaxie de départements où s’affaireraient copieurs, archivistes et conservateurs.

Aux Heures impaires d’Eric Liberge est un clin d’œil charmant au métier de gardien. Bernar Yslaire, épaulé par Jean-Claude Carrière, remonte vers le passé, aux origines révolutionnaires du Louvre. Le musée parisien s’y fait discret pour laisser place à la passion des artistes, mais il regagne le premier rôle chez Hirohiko Araki et son Rohan au Louvre. Premier manga de la collection, il y s’agit d’une enquête autour d’un tableau maudit et introuvable pourtant mentionné dans les répertoires du musée.

Plutôt poétique, Un Enchantement de Christian Durieux invite à une balade nocturne des galeries du Louvre en compagnie d’un vieil homme politique sur le départ et une énigmatique et espiègle jeune femme. L’ambiance y est maîtresse, comme c’est d’ailleurs le cas dans La Traversée du Louvre par David Prudhomme. On suit, cette fois-ci, l’auteur qui se promène en plein jour entre les salles remplies de visiteurs. Ceux-là deviennent des attractions au même titre que les pièces exposées. L’auteur représente le public avec beaucoup d’humour et de tendresse et ouvre la voie au Chien qui louche d’Etienne Davodeau, une comédie au scénario intelligent qui porte un regard sur le processus d’acquisition et sur la sempiternelle question de ce qui mériterait sa place dans un musée.

Aloyisias Alevratos-Victoire de Samothrace - Extrait de l'album Les Fant+¦mes du Louvre_Enki Bilal

« Aloyisias Alevratos, fantôme de la Victoire de Samothrace », extrait de l’album Les Fantômes du Louvre
Crédits : Enki Bilal/Futuropolis, Éditions du Musée du Louvre

Les Fantômes du Louvre d’Enki Bilal rompt avec le format de l’album BD et associe à une sélection d’objets et de lieux du musée des spectres dont il imagine les destins funestes.

Dernier album paru dans la collection, Les Gardiens du Louvre, par l’auteur japonais Jirô Taniguchi, mène le lecteur vers une odyssée onirique à travers le musée-monde[v]. Le protagoniste, dessinateur japonais de passage dans la capitale française, entame une visite du Louvre en dépit d’une fièvre qui le tourmente. Mené par un doux délire, il découvre les œuvres exposées sous un tout nouveau jour. Elles lui apparaissent vivantes, colorées et pourvues d’une volonté propre. Le ton poétique et doux-amer caractéristique de Jirô Taniguchi magnifie ce dialogue entre visiteur et objets de musée.

« Dialogue » est d’ailleurs un mot qui sied parfaitement à cette collection de bandes dessinées consacrées au Louvre. Dialogue entre les médiums que sont le neuvième art et le musée, mais aussi entre les lieux. Les œuvres exposées se voient transposées des salles d’exposition vers les pages des albums, puis de nouveaux vers le musée. En effet, à l’occasion de la sortie de chaque volume de la collection fut organisée une exposition au sein même du Louvre mettant en vedette des planches tirées de la bande dessinée. La boucle est bouclée.

[i] Nicolas de Crécy, Période glaciaire, Paris, Futuropolis et Éditions du Musée du Louvre, 2005, p.43.
[ii] David Prudhomme, La Traversée du Louvre, Paris, Futuropolis et Éditions du Musée du Louvre, 2012, p. 4.
[iii] Mickael du Gouret, « Entretien avec Fabrice Douar », Auracan.com, En ligne, 2006. <http://www.auracan.com/Interviews/12-interview-entretien-avec-fabrice-douar.html >. Consulté le 20 mai 2015.
[iv] Le Louvre Lens est une « antenne » du Musée du Louvre inaugurée le 4 décembre 2012 à Lens, dans la région du Pas-de-Calais. Pour plus d’informations, consultez le site officiel du Louvre Lens : http://www.louvrelens.fr/a-propos-du-louvre-lens.
[v] Futuropolis, « Fiche titre : Les Gardiens du Louvre », Futuropolis.com, En ligne, 2015, <http://www.futuropolis.fr/fiche_titre.php?id_article=790344&gt;. Consulté le 22 mai 2015.

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