Les fluides de la (pro)création

SarahAltmejd

David Altmejd, Sarah Altmejd, 2003
Crédits : Lance Brewer, avec l’aimable permission de la Andrea Rosen Gallery New York

Par Charline P.William

La complexité matérielle remarquable et le romantisme poignant des propositions sculpturales de David Altmejd sont amplement suffisants pour justifier la reconnaissance internationale de son œuvre. Résine, polyuréthane expansé, miroir, bois, cheveux synthétiques et autres ne sont que quelques-uns des matériaux avec lesquels l’artiste donne vie à ses monstrueuses créatures, fort poétiques. L’exceptionnelle exposition Flux, présentée au Musée d’art contemporain de Montréal (MACM) jusqu’au 13 septembre 2015, regroupe une trentaine d’œuvres issues des quinze dernières années de la production d’Altmejd.

On entre dans l’exposition plongée dans le noir. On aperçoit une première sculpture éclairée d’un faible faisceau lumineux : Sarah Altmejd. Il s’agit d’un autoportrait, que l’artiste a effectué en remplaçant la forme du visage par celui de sa sœur bien-aimée, comme il le mentionne dans l’entrevue avec Josée Belisle, commissaire d’exposition au Musée. Cette entrevue est disponible pour visionnement sur le site web du MACM. Le visage de Sarah est représenté comme un trou noir dont le pourtour regorge de pierres précieuses en excroissance. Altmejd admet la violence de ce trou noir, mais étant la première œuvre de l’exposition et l’une des deux seules figures féminines qu’elle comporte, cette sculpture et le commentaire de l’artiste sur celle-ci font penser à L’Origine du monde de Gustave Courbet.

Tout de suite après, on remarque dans la première pièce The University, complexe structure entièrement fabriquée en miroirs, qui rappelle quant à elle les œuvres minimalistes de Sol Lewitt. Une première œuvre monumentale, Le désert et la semence, évoque quant à elle une naissance, dont la représentation fragmentée se fait en plusieurs étapes. D’abord, un petit carré de sable où des mains, faites avec un moulage, sculptent le sable, humidifié par un liquide laiteux. Des noix de coco surgissent alors de ce façonnage, pour devenir une tête d’homme qui se métamorphose ensuite en loup-garou, qui croque une noix de coco dont le jus se répand dans le sable, et ainsi de suite. On pense tout de suite à une reproduction sexuée de l’homme à l’homme, puisque tous les éléments sont là pour qu’on ne se réfère qu’aux gonades masculines ; sperme, testicules et pilosité sur les noix de coco. On se demande, dans ce contexte, à quoi aurait bien pu servir cette fameuse Origine du monde, les gonades féminines étant absentes du système proposé, désuètes. Un système reproducteur similaire est suggéré dans The Flux and the Puddle, œuvre gigantesque retraçant le parcours artistique de l’artiste et créée spécifiquement pour l’exposition, dans laquelle « the woman on the other side » semble complètement inutile et obsolète dans ledit système.

FLUX

David Altmejd, The Flux and The Puddle (détail), 2014
Crédits : James Ewing, avec l’aimable permission d’Andrea Rosen Gallety, New York © David Altmejd)

De nombreuses références à la masculinité, précisément au phallus, peuvent créer un malaise chez certains spectateurs. En effet, les innombrables excroissances corporelles, les emprunts au monde animal et la pilosité omniprésente rendent hommage à la virilité et à la sexualité masculine. Dans la sculpture Man 2, la proéminence du bec d’oiseau de la tête de l’homme, en relation avec son barbillon, qui est en fait un scrotum, et le retour de la noix de coco juteuse qu’il tient dans la main, constitue une revendication claire des organes génitaux masculins. Ainsi, des visiteurs se mettent à voir des images phalliques dans chacune des œuvres de l’artiste et finit par se sentir pervers, voyeurs, et même obsédés. Cela n’est probablement pas innocent de la part d’Altmejd et pourrait être considéré comme une affirmation de l’homosexualité. Il est toutefois curieux qu’aucune explication affichée dans l’exposition ne mette en lumière cet aspect de l’œuvre d’Altmejd.

La facture scientifique des dispositifs utilisés par Altmejd marque son intérêt pour la biologie et l’évolution. On apprend au fil des lectures que l’artiste a effectivement entamé des études universitaires de biologie avant de se consacrer à la peinture. C’est probablement l’esthétique démonstrative et factuelle des musées scientifiques qui l’a inspiré, permettant l’invention de légendes poétiques et de loups-garous qui se transforment et se décomposent comme un phénomène scientifique qu’on voudrait prouver. Le bagage pictural de l’artiste se fait quant à lui sentir dans la coloration savante, la matérialité bien exploitée et la force des images créées par ses installations. La présence des pinceaux dans les présentoirs de plexiglas suggère aussi l’acte de peindre, de créer de toute pièce un univers qui, par le biais de la sculpture, a l’air un peu plus tangible, un peu plus vrai.

Il faut souligner dans cette exposition la majestueuse tension entre création et procréation, autodestruction et autocréation, naissance et mort, transformation et déformation, etc. La présence de la main créatrice est très importante. On pourrait penser que le sculpteur cherche à imposer son existence en rappelant que les monstres qu’il crée sont issus de sa main, issus de la matière, matière qui soudainement prend vie, évolue, meurt, se décompose et redevient poussière et minéraux bruts. La relation des mains envers la matière de l’œuvre en tant que telle amène en même temps l’idée que les monstres se créent eux-mêmes.

Par ailleurs, les stratégies de médiation employées par le Musée sont efficaces et donnent des informations complémentaires très pertinentes. L’audioguide, disponible sur le site web du MACM, permet d’entendre David Altmejd s’exprimer sur son œuvre de façon très claire et cohérente. Reste à se demander pourquoi les nombreuses références au sexe masculin sont complètement absentes des explications fournies par l’artiste tout comme dans celles fournies par le Musée. Censure ? Excès de pudeur ? Simple imagination de la part du spectateur ? Quoi qu’il en soit, cet aspect de l’œuvre d’Altmejd n’est probablement pas le noyau de sa recherche plastique et symbolique, mais son influence dans la mythologie qu’il crée est difficile à nier et vaudrait la peine d’être étudiée davantage.

Flux — David Altmejd
Jusqu’au 13 septembre 2015
Musée d’art contemporain de Montréal
185, rue Sainte-Catherine Ouest
Métro Place des arts
Mardi : 11 h à 18 h
Mercredi – jeudi – vendredi : 11 h à 21 h
Samedi – dimanche : 10 h à 18 h
www.macm.org

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