Mary Pratt, Tête de poisson dans un évier d’acier, 1983, huile sur Masonite, 52 × 77,5 cm, Collection particulière, N.-B.
Crédits : Musée des beaux-arts du Canada
Par Simon Morin-Plante
C’est dans une toute petite salle d’exposition longiforme du Musée des beaux-arts du Canada que les tableaux de Mary Pratt prennent vie et volume. Ils y sont exposés jusqu’au 11 novembre. La démarche pour le moins singulière de l’artiste canadienne, originaire de Fredericton au Nouveau-Brunswick, y est présentée. De travaux préparatoires d’atelier à des huiles et acryliques sur toile, l’exposition propose un regard global et fait une synthèse introductive du travail de l’artiste.
La démarche
Mary Pratt, c’est l’illusion du réel photographique dans le médium de la peinture. Travaillant avec la réflexion de la lumière sur les objets de nature transparente, Pratt dénote l’ambiguïté entre la forme et son objet à travers une représentation en macro, c’est-à-dire des plans très rapprochés des objets peints. En passant par des écailles de poissons, à l’intérieur d’une cuve d’acier inoxydable ou à la transparence d’une gelée de fruits dans un pot de verre, Pratt propose un discours qui incite à la discussion et à une réflexion sur la peinture figurative moderne. Effectivement, nous pouvons nous demander : à ce jour, où en est donc la peinture figurative?
Depuis les années 1950, les artistes ont délaissé l’art figuratif au profit de plusieurs courants arborant l’art non figuratif, donnant à ce style une place prépondérante dans l’histoire contemporaine de l’art. Cette réalité historique nous permet de nous questionner : où se situe désormais l’art figuratif ? Certains croient que nous avons déjà tout fait avec le médium de la peinture. De cette généralité, plusieurs artistes tentent de démontrer le contraire dans leurs démarches artistiques. C’est visiblement le cas de Mary Pratt, qui, sur plusieurs décennies, a peint une réalité figurative bien à elle.
Mary Pratt, Étagère de gelées , 1999, huile sur toile, 55,7 × 71,2 cm,
Avec l’autorisation de l’Equinox Gallery, Vancouver / Musée des beaux-arts du Canada
Ainsi, nous nous retrouvons dans cette exposition face à des tableaux comportant une picturalité des plus manifestes, qui laissent croire à première vue à un tirage photographique sur gélatine. Subterfuge des plus complets, car il s’agit plutôt de pigments sur canevas. Comment Mary Pratt s’y prend-t-elle pour obtenir un rendu pictural digne de la photographie ?
En effet, elle élabore tout un processus photographique entourant ses sujets. L’artiste prend des clichés d’objets de la vie quotidienne, comme des pots Mason remplis de gelée de fruits qui arborent le rebord d’une fenêtre de cuisine, lui rappelant des scènes de sa jeunesse, et s’en inspire pour ses tableaux. Nous pouvons également dire que la cuisine est un endroit de prédilection pour Pratt, qui y puise l’essence de sa démarche artistique. Le caractère du protocole rituel est également signifié dans la démarche de Pratt. À l’évidence, elle dépeint certaines tâches ménagères comme des rites. Bref, le statut de tradition est probablement le point central dans l’œuvre de Pratt.
Parcours muséologique
C’est dans un parcours chronologique que nous est présentée au MBAC l’œuvre de Pratt. Les œuvres se déploient dans l’espace de manière équivoque de son amour viscéral pour la peinture et la représentation des objets du quotidien. La couleur des tableaux est probablement le point focal de l’exposition, que l’équipe de commissariat a su exploiter de manière indéniable. Nous voyons donc les tableaux l’un après l’autre avec une avidité profonde, faisant monter le désir de voir le suivant quelques mètres plus loin. La pénombre prononcée enveloppe les œuvres d’une atmosphère laissant jaillir leurs traits colorés.
L’attrait le plus réussi de cette mise en exposition est la présentation d’archives et de documents préparatoires venant de l’artiste. Ceux-ci nous donnent l’impression de plonger directement dans son univers et plus précisément à l’intérieur même de son atelier.
Les tableaux de Pratt sont forts de sens et arborent une méthodologie de l’application de la couleur comme peu d’artistes savent le faire. Pratt opère soigneusement le pigment en aplat, couche après couche, transparence sur transparence, pour ainsi guider la lumière dans ses coups de pinceau. Elle peint dès lors la lumière brute, à même la toile.
L’art figuratif toujours en force au Canada
L’art de Pratt nous confirme qu’il y a encore une place pour la peinture dite figurative dans l’art canadien. C’est d’ailleurs aussi le cas chez de grands maîtres comme Alex Colville, dont la réputation n’est plus à faire et chez qui la représentation figurative est le leitmotiv de sa démarche.
Le travail de Mary Pratt se retrouve dans plusieurs collections privées et publiques au Canada et en Europe. L’artiste est représentée par Équinoxe Gallery[i], située à Vancouver.
[i] Galerie Équinoxe http://www.equinoxgallery.com