Par Juliette Marzano-Poitras
Dans un monde de plus en plus fluctuant et globalisé, qu’arrive-t-il lorsqu’une production artistique est constamment soumise à être réexposée? Existe-t-il un espace d’exposition neutre, universel et dépourvu d’intentionnalité?
Telles sont les pistes de réflexion qui animent la production artistique de David Maljković. Exposé pour la première fois au Canada, l’artiste croate présente au Centre Vox une exposition d’envergure, qui entend remettre en question le dispositif d’exposition dans sa portée historique et sociale. Bien qu’il ne soit pas nouveau pour les artistes de proposer des procédés expérimentaux visant à questionner les limites institutionnelles, Maljković offre aux spectateurs un commentaire complexe, aux références actuelles et passées, sur la matérialité de l’exposition. Il s’agit donc d’une exposition à propos de l’exposition.
Une expérience totale
Pour l’artiste, il s’agit de penser l’exposition comme une expérience totale, plutôt qu’une présentation de singularités[i]. En effet, les œuvres dialoguent entre elles, partagent de multiples temporalités et communiquent avec l’espace. On observe en ce sens des répétitions formelles entre les œuvres malgré leurs matériaux variés. C’est le cas de l’installation A long Day for the Form (2012-2014), qui est constituée d’une sculpture en bronze posée dans une boîte de carton, au sol. Dans une autre salle, on retrouve une sculpture similaire, mais cette fois en béton, installée au mur.
Vue de la salle avec, à droite, A long Day for the Form, 2014, béton, écran réflecteur, trépied, spot, étagère, haut-parleurs.
© Michel Brunelle
L’utilisation de dispositifs de présentation issus du modernisme — cube blanc, plateformes, socles, écrans, projecteurs, ready-mades — est omniprésente, ce qui n’est pas sans rappeler notre héritage historique et notre rapport perceptuel au passé. Ce langage séduisant, employé tant dans le champ artistique que publicitaire, est remanié par l’artiste pour révéler un constat post-moderne : celui d’une réalité autonome existante dans un contexte de création et de réception, c’est-à-dire ancrée dans l’histoire du modernisme et de la mise en valeur des objets.
Afterform, 2013, Vidéo HD, écran de projection sur trépied, projecteur HD, enceintes, socle, 5 min 5 sec.
© Michel Brunelle.
L’œuvre d’art à l’époque de sa diffusion électronique
L’exposition de l’artiste est entièrement constituée de traces de ses expositions antérieures. Les immenses imprimés photographiques appliqués aux murs proviennent d’images mises en ligne par des utilisateurs d’Instagram ayant visité ses expositions précédentes. En se réappropriant ces photographies, l’artiste remet en question la notion d’auteur, puisque le spectateur est en partie créateur de l’œuvre photographique, et celle du rôle institutionnel, car si Instagram est un réseau social nourri de plus de 60 millions de photos par jour, l’insertion de ces images dans une galerie transforme complètement la façon dont elles sont perçues : elles deviennent œuvres d’art.
Vue de la quatrième salle d’exposition.
© Michel Brunelle.
En réexposant continuellement des fragments d’oeuvres exposées antérieurement, l’artiste joue avec les temporalités. Ces images communiquent avec les objets exposés de même qu’avec l’espace de la galerie. On peut ainsi retrouver la plante de l’œuvre barbimtalves (2016) à la fois dans une photo issue d’Instagram et dans une autre installation, située dans le coin de la pièce. La résonance temporelle entre les œuvres est si forte qu’elle laisse aux spectateurs l’impression d’une actualisation continue des objets présentés. L’exposition devient alors pour l’artiste un processus au sein duquel les œuvres se reproduisent constamment et deviennent, par conséquent, inachevables[ii]. D’ailleurs, le Centre Vox invite les visiteurs à participer à ce processus en publiant des images de l’exposition sur Instagram sous le hashtag #davidmaljkovic.
Cette réintégration reprend aussi l’idée de la rétrospective et de la réactualisation, pratique de plus en plus populaire dans la muséologie contemporaine : on pense notamment à When Attitudes Become Forms (1969) de Harald Szeemann, reprise à Venise en 2003, ou bien à l’exposition do it de Hans Olbricht (1993), présentée cet hiver à la galerie de l’UQAM. Véritable commentateur de la muséologie actuelle, Maljković propose de repenser la production d’œuvres d’art selon l’idée que l’œuvre est continuellement soumise à performer son actualisation et sa reproduction à travers de nouvelles variables, telles que la reprise d’expositions et les nouvelles technologies de diffusion.
disinlok, 2016, collage de photos Instagram, impression jet d’encre.
© Centre Vox
Présentée au Centre Vox jusqu’au 16 avril, l’exposition de David Maljković offre plusieurs niveaux de réflexion intéressants à propos de l’histoire de la mise en valeur des objets, de notre rapport aux langages artistiques et de la relation temporelle des œuvres aux nouvelles technologies. Seul hic : le manque d’informations et de panneaux descriptifs dans les salles peuvent laisser le visiteur novice à l’art contemporain dépourvu de repères.
David Malkjović
Jusqu’au 16 avril
VOX
2, rue Ste-Catherine Est, espace 401
Métro Saint-Laurent
Mardi — vendredi : 12 h à 18 h, samedi : 11 h à 17 h
En-tête : Undated, 2013, épreuve 16 mm projetée en boucle, socle, microphone, enceinte, pupitre de mixage, boite à effet, 2 min 58 sec.
© Centre Vox
[i] Centre Vox, Entretien : David Maljkovic, 2016.
En ligne. <http://www.centrevox.ca/entretien/david-maljkovic/>. Consulté le 18 mars 2016.
[ii] Marie J. Jean, David Maljković. L’exposition à faire, Centre Vox
En ligne. <http://www.centrevox.ca/exposition/maljkovic/.>. Consulté le 18 mars 2016.