Par Catherine Lafranchise
En février dernier, le célèbre artiste chinois Ai Weiwei a créé une série d’œuvres destinées au Bon Marché Rive Gauche, à Paris, dans le cadre de l’exposition Er Xi, Air de Jeux. Pour vous mettre en contexte, le Bon Marché est destiné à une clientèle parisienne aisée financièrement. On y retrouve à la fois des vêtements de marques luxueuses, des parfums et cosmétiques ainsi qu’une section alimentaire de produits importés, le tout réparti sur trois étages.
On a maintes fois vu l’art envahir l’espace public au Québec, que ce soit dans les transports en commun, les parcs ou les édifices publics, mais rarement dans un grand magasin de luxe et en tant qu’exposition temporaire. D’ailleurs, le Bon Marché n’en est pas à sa première exposition de la sorte puisqu’il accueille tout au long de l’année des expositions temporaires d’artistes de renommée internationale[i].
Le pays des poitrines transpercées, présenté dans les verrières du Bon Marché Rive Gauche
© Catherine Lafranchise
Déjouer les attentes
Lorsque j’ai entendu parler de l’exposition à Paris, j’ai tout de suite consulté le site internet du Bon Marché pour obtenir des informations supplémentaires. Les photos qui y étaient montrées donnaient à penser que l’artiste avait un espace déterminé de type white box[ii] pour montrer ses œuvres. Ces photos n’étaient pas représentatives, puisque j’étais loin de me douter que les expositions temporaires en question se donnent à même le marché et qu’elles sont disposées à travers l’espace commercial.
Les visiteurs qui se déplacent expressément pour l’exposition auront donc un effet de surprise en pénétrant dans le marché. Cependant, je dois avouer que cette approche apporte un vent de fraicheur, un bon mariage entre l’art et la vie. L’artiste a même dit au sujet de l’exposition « [qu’] exposer au Bon Marché Rive Gauche c’est user d’un nouveau média, le grand magasin, pour aller à la rencontre d’un autre public, aussi large que celui d’un musée [iii]».
Les poissons volants, présentés dans les verrières du Bon Marché Rive Gauche
© Catherine Lafranchise
Puisque l’exposition prend place dans un emplacement commercial, le Bon Marché a évidemment intégré à même le plancher de vente une boutique éphémère où acheter des objets dérivés de l’exposition et autres souvenirs, tels que des sacs et un cahier de coloriage.
Jouer avec l’espace
Ai Weiwei a suspendu ses sculptures dans les verrières du marché. Ainsi, peu importe sur quel étage on se retrouve, on peut admirer ses œuvres, et ce, sous des angles variés. Le résultat est assez impressionnant puisque celles-ci forment un contraste avec les produits luxueux et modernes emplissant le marché, alors que ce sont des œuvres créées grâce à des techniques anciennes.
Vue sur les œuvres d’Ai Weiwei, suspendues au cœur des verrières du Bon Marché Rive Gauche
© Catherine Lafranchise
Toutefois, ses sculptures ne sont pas que suspendues. En effet, l’artiste expose aussi dans les vitrines extérieures du Bon Marché, donnant l’impression que le bâtiment abrite une galerie ou un centre d’exposition plutôt qu’un grand magasin.
Une des vitrines présentant les sculptures d’Ai Weiwei, sur la rue De Sèvres
© Catherine Lafranchise
Une technique inexplorée
Non seulement l’emplacement de l’exposition surprend, mais l’artiste y présente aussi un registre tout à fait différent de celui qu’il explore habituellement. Ai Weiwei propose vingt-deux sculptures créées à l’aide de papier de soie et de morceaux de bambou, créées avec le savoir-faire de techniques ancestrales chinoises utilisées dans la fabrication des cerfs-volants. Certaines œuvres sont partiellement recouvertes de papier de soie, laissant entrevoir ainsi tout la complexité de leur structure. L’artiste joue avec les espaces pleins et les espaces vides et le résultat est magnifique. Pour l’exposition Er Xi, Air de jeux, l’artiste s’inspire des illustrations du Classique des monts et des mers, un ouvrage mythologique chinois âgé de plus de deux mille ans.
Dragon en quatre segments, présenté au rez-de-chaussée du Bon Marché Rive Gauche
© Catherine Lafranchise
Son œuvre la plus impressionnante techniquement est sans contredit Dragon en quatre segments, un immense dragon exposé au rez-de-chaussée, sur un socle géant. L’œuvre fascine, car elle est imposante visuellement, tout en étant très légère, à cause des matériaux qui la composent.
Finalement, l’exposition d’Ai Weiwei surprend à la fois par la grande virtuosité technique de ses pièces, mais aussi pour son contexte d’exposition, qui est peu fréquent au Québec. Au cours des prochaines années, il serait intéressant d’importer cette pratique d’exposition temporaire dans nos établissements commerciaux.
Le Bon Marché Rive Gauche
24, rue de Sèvres (Paris)
[i]Du 27 février au 16 avril, l’exposition Iris à Paris présente 8 ensembles de la collection personnelle de la grande icône de mode nonagénaire.
[ii]Le white box fait référence à la pratique muséale des grands espaces blancs avec des affichages épurés et distanciés d’œuvres.
[iii]Citation d’Ai Weiwei. Le Bon Marché, en ligne, 2016. <http://www.lebonmarche.com/evenements/ai-weiwei.html>. Consulté le 22 mars 2016.