Par Violette Loget
« Nos sociétés contemporaines s’interrogent sur la trajectoire des sociétés et sur leurs vestiges, et finalement sur l’irremplaçabilité, sur ce qui ne sera plus jamais, mais qui a pourtant laissé des traces. » Jean Paul Demoule, 2012
Maude Bernier Chabot est l’auteure de sculptures étrangement organiques. À travers l’exposition The Fourth Kingdom, la sculptrice nous plonge dans un univers géologique en faisant dialoguer des objets disparates. Son approche technique et sa vision scénique explorent les limites entre l’organique, la pièce d’art et la matière artificielle.
© Caroline Cloutier
D’un blanc immaculé, l’espace de CIRCA art actuel est immersif. C’est en explorateur que le spectateur découvre The Fourth Kingdom dès qu’il franchit le seuil de l’exposition. Bien que le choix de ce titre renvoie à la vision prophétique de la Parabole de Daniel et que la scénographie de l’espace évoque une Atlantide submergée, le travail de l’artiste s’inscrit dans une approche formelle de la sculpture. Chez elle, la sculpture naît d’un procédé minutieusement développé. Le plâtre et le plastique sont ses matériaux de prédilection, le moulage et l’assemblage sont ses instruments. Techniquement, l’approche de la sculptrice l’amène à subjuguer les pièces exposées, allant jusqu’à transformer les propriétés du plâtre pour lui donner l’apparence fragile d’une éponge de mer.
© Caroline Cloutier
Sa pratique déstructure la matière pour mieux la dévoiler en s’inspirant des formes, des couleurs et des textures d’objets témoins. Au sein de l’exposition, les sculptures recomposent la matière en jumelant l’organique (coraux, coquillages) et le composite (plâtre, fer, céramique), questionnant ainsi la frontière entre le fabriqué et le naturel. Méthodiquement composé, l’espace est jalonné de socles de plâtre blanc texturés, prenant l’apparence de colonnes piquées par le temps et l’humidité. Les socles sont entourés ou couronnés de pièces sculptées et parées de pigments vifs jouant de gammes de bleus et de noirs profonds. Stratifiées, les sculptures semblent marquées par le passage du temps, ce qui concourt à accentuer l’impression d’abandon qui enveloppe la salle d’exposition. Titres et cartels disparaissent au profit d’une installation immersive. Les œuvres composites de Maude Bernier Chabot font dialoguer des matériaux classiques de la sculpture, mais aussi des composés usuels de la modernité, avec des reliquats d’organismes vivants et de civilisations disparues. Au sol, des coquillages et autres résidus organiques dialoguent avec les sculptures moulées. À l’avant-scène, la reproduction du buste d’un guerrier de l’armée de Chine est enserrée dans un carcan de plâtre, alors qu’en fond de salle, une bouteille de verre grevée de mollusques fait face à son répondant sculpté.
© Caroline Cloutier
Dans cette exposition archéologique, Maude Bernier Chabot parvient à faire hésiter le visiteur quant au statut – précieux, ordinaire ou rebut – d’un ensemble composé de pièces d’origine naturelle (écofacts), de reproductions et d’œuvres d’art, troublant ainsi notre système de classification des choses. En plus d’interroger le statut des objets, Maude Bernier Chabot évoque l’ambiguïté de notre relation au vivant. Avec The Fourth Kingdom, l’artiste inscrit son approche artistique dans la mouvance anthropocène en présentant l’homme, concepteur et accumulateur d’objets, comme une force géologique, passagère et ancrée dans l’espace-temps, au même titre que les matières organiques.
© Caroline Cloutier
The Fourth Kingdom – Maude Bernier-Chabot
Jusqu’au 4 juin
CIRCA art actuel
372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 444
Métro Place des Arts
Mercredi – samedi : 12 h à 17 h 30