Radiographies du paradis. XRAY à Station 16

Par Laurence Perron

C’est pour conclure la saison estivale que la galerie Station 16 propose à ses visiteurs l’exposition LOST PARADISE, de l’artiste muraliste XRAY. La période d’août à septembre qu’elle couvre n’est pas la seule façon de la rattacher à cette époque de l’année se situant à mi-chemin entre l’effervescence ensoleillée et la morosité du déclin automnal. Les œuvres de XRAY s’inscrivent tout à fait dans cet espace transitoire entre la mélancolie de ce qui a été et l’angoisse de ce qui sera (il ne s’agit que de penser au titre de l’exposition ou à l’œuvre Lost Treasure pour deviner le rôle constitutif qu’y occupe la perte). Le spleen évoqué par l’artiste possède la dimension critique de celui qui se regarde s’émouvoir et dépasse la monstration d’un passé glorifié.

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XRAY, Mad Donald
© Galerie Station 16

La sérialité semble être l’un des outils principaux de ce mouvement réflexif. Des œuvres comme Digital Duck Sculpture, Digital Duck Woodart, Ducky Mouse, Mad Donald ou Ghost Duck Woodcut constituent une liste de duplicatas qui reprennent frénétiquement l’icône – avec XRAY, on est tenté de prendre ce terme d’icône selon le sens premier que lui donne la religion, tant les artefacts de la culture occidentale et orientale sont teintés d’une aura de sainteté qui les rapproche presque du fétichisme conféré aux reliques par l’Église catholique – de Donald Duck. Donald en 8bit, Donald en Mickey, Donald en Trump : au fil des répétitions, le spectateur réalise que le seul grand absent de la liste est Donald Duck en Donald Duck. Ceci n’est sans doute pas anodin si l’on considère que la nostalgie n’est au fond que l’élan d’un sujet qui se tend vers un objet hors d’atteinte précisément parce que celui-ci est inatteignable, déjà hors temps, hors lieu. En pervertissant ainsi les doubles de Donald Duck, XRAY nous rappelle le mouvement du désir qui, toujours à la recherche de son objet, ne cesse d’en mimer les variations dans l’espoir de tracer en creux son contour.

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XRAY, Ducky Mouse
© Galerie Station 16

Mais le geste itératif, on s’en rappelle, n’est pas qu’un essor vers ce qu’il répète ; c’est aussi une manière de le tenir à distance. Lorsqu’il explore l’esthétique publicitaire des années 50, XRAY n’entre pas dans un processus d’exaltation, mais entame plutôt un examen de celle-ci. Le portrait qu’il en trace semble être celui d’une époque où l’utopie – idéologique, sexuelle, économique, sociale, politique – aurait eu une préséance telle que son imagerie collective ne pouvait produire ou être produite par autre chose que du fantasme pur. À l’aune de cette hypothèse, il apparait clair que XRAY mérite le pseudonyme qu’il s’est donné, lui qui procède à l’obsédante radiographie d’une culture frénétique du rêve qui, quoique révolue, ne cesserait pas pour autant d’envouter la nôtre, dont elle serait au fond la captivante génitrice.

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XRAY, Digital Duck Woodcut
© Galerie Station 16

On s’étonne peu de la réappropriation opérée par XRAY sur les discours et les images du passé si l’on connaît déjà son travail. Le graffiti vampirise les signes du social afin de se les réapproprier dans un espace collectif illicite. Écriture originairement vandale flirtant toujours avec le caractère illégitime d’une parole dissidente, il s’empare de l’espace public pour en faire l’otage de ses propres signifiants réinterprétés. Tradition de l’éphémère, le graffiti participe d’une expérience de la nostalgie puisque le geste même qui le fait naître le voue à son imminente disparition, aux aléas de nouvelles superpositions et recouvrements. Son caractère transitoire aurait pu nuire au succès d’une exposition comme LOST PARADISE qui, en raison de sa fixité (qui est géographique, mais aussi institutionnelle), prenait le risque d’égarer en chemin cet esprit dialogique qui fait communiquer entre eux le dessin et l’espace qui le reçoit. Grâce à la reprise omniprésente des fétiches de l’imagerie collective, ce dynamisme est déplacé sans toutefois être condamné à disparaître.

LOST PARADISE – XRAY
Jusqu’au 10 septembre
Station 16
3523, boul. Saint-Laurent
Métro Saint-Laurent
Lundi : 9 h à 17 h, Mardi-vendredi : 9 h à 19 h et samedi 12 h à 17 h

En en-tête : XRAY, Lost Paradise © Galerie Station 16


 

LAURENCE PERRON | RÉDACTRICE WEB

Laurence Perron est étudiante à la maîtrise en études littéraires. Sous la direction de Jean-François Chassay, elle s’interroge sur le rôle de la représentation romanesque des figures auctoriales dans l’élaboration d’une poétique d’écriture et elle est présentement assistante de recherche dans le cadre du projet Anticipation de l’ANR. Étant passionnée par la manière dont les récits transfigurent le monde par la mise en forme de l’expérience, Laurence voit dans l’art contemporain une occasion de se confronter à d’autres pratiques narratives et de comprendre les histoires que nous racontent les images. Elle s’est jointe à l’équipe de rédaction web d’Ex situ au cours du printemps 2016.

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