Anticipations et réminiscences de Luce Dumont : nidations

Par Laurence Perron

Les œuvres de Luce Dumont paraissent enclavées à la perfection dans le milieu où elles sont exposées : à la salle Thérèse Beaulieu-Roy de la villa Estevan. Elle-même enfouie dans les foisonnants jardins de Métis, les arrangements d’Anticipations et réminiscences répondent à ceux, floraux, qui peuplent les dédales extérieurs de cet éden à l’anglaise. Le nid, que Dumont décrit comme un « symbole privilégié de son imagerie[i] », s’y multiplie jusqu’à omniprésence.

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Luce Dumont, collection de nids de l’artiste
© Laurence Perron

Se déportant d’un médium à l’autre (allant de la broderie à l’aquarelle en passant par des installations faites à partir de véritables nids trouvés par l’artiste), Dumont dote ses œuvres d’une aura obsédante du fait de leur sérialité extrêmement marquée. Ces multiples variations sur le même thème redoublent l’intérêt du spectateur, qui voit alors dans la pratique de l’artiste la sensibilité avec laquelle l’esthétique colle au sujet qu’elle cherche à capter : réduit à sa plus simple expression, le nid peut être compris comme une façon de créer des liens ou produire des amalgames dans lesquels est ensuite placé l’espoir d’une chose à naître. En ce sens, il rappelle cette attitude de l’artiste qui, par la concentration marquée des représentations en un même endroit, parvient à produire cet espace composite qui est au final le refuge de ce qui doit encore advenir.

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Luce Dumont, Anticipations (X&Y), 2014.
© Laurence Perron

Cette mise en tension perpétuelle entre contiguïté et coupure, le spectateur la retrouve un peu partout au fil de la visite. Certaines œuvres hybrides, à cheval entre le dessin d’observation, l’estampe et la broderie (et donc à mi-chemin entre technique de production sérielle et travail à la main), portent des noms qui les relient de manière constellaire : Émerger, Bercer, Nouer, Basculer, Partager, Jouer, ou Accueillir, Éconduire, pour ne nommer que ceux-là, sont tous des verbes du même groupe grammatical, mais aussi, pourrait-on dire, d’un même ensemble isotopique. Déposée sur les cartels, cette suite de verbes donne l’impression d’une transitivité qui oblige le spectateur à créer lui-même les compléments qui permettraient de produire des effets de sens. Ces verbes semblent aussi faire partie d’un champ sémantique commun, celui de la mise en relation – étant entendu que, dans un esprit de rupture ou de symbiose, les actions qu’ils évoquent permettent de produire du lien entre les individus ou encore de le briser. Les titres des poèmes de Catherine Fortin qui accompagnent les œuvres – et qui sont parfois éponymes – laissent le même type d’impression et relient cette tension à celle que présente aussi le titre de l’exposition, celle entre futur et passé que laisse planer les termes de réminiscences et d’anticipation[ii] sur le présent de la visite, qui semble alors suspendue entre les deux temps dont elle souhaite s’extraire, peut-être pour mieux les contempler.
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Luce Dumont, collection de nids de l’artiste
© Laurence Perron

C’est pourquoi il nous semble pertinent de revenir au lieu dans lequel se déroule l’exposition pour mieux la faire ré(ai)sonner. En effet, si l’espace du jardin peut apparaître au premier abord comme le lieu privilégié du surgissement de la nature, c’est pourtant l’inverse qui est à l’œuvre puisque tout l’art du jardin consiste à dompter, à domestiquer un espace que l’on dérobe à l’expansion sauvage du règne végétal. En ce sens, les œuvres de Luce Dumont semblent être sensibles à cette dichotomie tout en tentant de négocier autrement cette redistribution de l’espace entre anarchie de la flore et triomphe d’un orgueil civilisateur. Anticipations et réminiscences pourrait alors être perçue comme une tentative de réconciliation qui chercherait à placer ces deux mouvements du même côté, soit celui du geste créateur sous l’égide d’un dialogue qui, à la manière de celui qui s’instaure entre l’artiste (Dumont) et l’auteur (Fortin), permet de faire cohabiter l’objet organique ou artistique avec son commentaire.

Anticipations et réminiscences – Luce Dumont
Villa Estevan – Salle Thérèse Beaulieu-Roy
200, route 132, Grand-Métis
Lundi – dimanche : 8 h 30 à 18 h

En en-tête : Luce Dumont, Déployer ses couleurs 2016.


[i] Cartel de l’exposition.
[ii]Les anciennes expositions de l’artiste (Dénuement et opulence, silences et tintamarres) sont elles aussi teintées à la fois de cette dichotomie et de la marque du pluriel.

 

LAURENCE PERRON | RÉDACTRICE WEB

Laurence Perron est étudiante à la maîtrise en études littéraires. Sous la direction de Jean-François Chassay, elle s’interroge sur le rôle de la représentation romanesque des figures auctoriales dans l’élaboration d’une poétique d’écriture et elle est présentement assistante de recherche dans le cadre du projet Anticipation de l’ANR. Étant passionnée par la manière dont les récits transfigurent le monde par la mise en forme de l’expérience, Laurence voit dans l’art contemporain une occasion de se confronter à d’autres pratiques narratives et de comprendre les histoires que nous racontent les images. Elle s’est jointe à l’équipe de rédaction web d’Ex situ au cours du printemps 2016.

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