Par Amy Éloïse Mailloux
We Make Carpets est un collectif néerlandais créant, depuis 2009, des œuvres à plat, à même le sol. Pourtant, malgré leur nom, ils le disent clairement : « We Make Carpets ne fait pas de tapis.[i] » En résidence cet automne à Diagonale, le collectif a créé deux œuvres, une au sol et l’autre à la verticale, sur le mur principal de la galerie.
Vue de l’exposition Bend and Stretch, Diagonale, 2016
© We Make Carpets
Du macro au micro
Immenses, imposantes, les œuvres de We Make Carpets impressionnent dès l’entrée en galerie par leurs couleurs flamboyantes (dans ce cas-ci, des jaunes, verts et bleus qui résonnent dans la blancheur du lieu). Les motifs géométriques présentés sont si réguliers que c’en est calmant : d’où le lien avec le tapis, car sans se poser de question, on se laisse à priori guider par les lignes et par les courbes, dans un reposant motif régulier. Je dis bien à priori, car l’impression s’efface vite.
We Make Carpets, Rubberband Carpet 2, 2016
© We Make Carpets
En se rapprochant un peu, on réalise rapidement que ce qui constitue les œuvres de Bend and Stretch, la petite installation à Diagonale, est d’une part des élastiques (Rubberband Carpet 2) et, pour l’œuvre au sol, des trombones (Paperclip Carpet 2). Oui, ces simples objets de papeterie, utilisés au quotidien de façon automatique, sont ici sublimés pour devenir des motifs fascinants, imbus d’une beauté jusqu’alors sous-estimée.
We Make Carpets, Paperclip Carpet 2, 2016
© Amy Éloïse Mailloux
Répétition créative
We Make Carpets, est composé de trois individus: Bob Waardenburg, Stijn van der Vleuten et Marcia Nolte. Lorsqu’ils se réunissent pour créer, aucun motif n’est préconçu. C’est le travail d’assemblage, sur place, qui révèle un motif selon l’inspiration du moment et les propriétés du matériau choisi (forme, couleurs, poids, etc.). Seul, un trombone est inintéressant : on n’y porte pas attention car c’est un objet banal. Par contre, assemblé avec des milliers d’autres, ce simple objet prend une ampleur toute grandissante, fascinante esthétiquement. Depuis déjà sept ans, le collectif révèle la beauté dans des objets tout à fait improbables, allant d’éponges à vis à allumettes.
Briser la routine
À une époque où on ne s’arrête pas et où on est toujours connectés, on prend peu de temps pour s’arrêter et observer les détails qui nous entourent. En quelque sorte, Bend and Stretch nous propose de faire cet arrêt et de se laisser emporter par cet assemblement d’objets. En admirant le « tapis » disposé au sol de Diagonale, on se sent bien. Rien ne compte, sauf l’alignement parfait des trombones, hypnotisant.
We Make Carpets, Paperclip Carpet 2, 2016
© We Make Carpets
Si, du coté spectateur, l’œuvre est déjà impressionnante, elle l’est encore plus quand on pense à son processus de création : agenouillés, penchés sur le sol où ils ont assemblé ces 65 000 trombones[ii], la création prend un sens physique : elle est bien plus que conceptuelle. Pourtant, ce procédé ne les a pas rebutés puisque ce n’est même pas la première fois que le trio travaille avec des trombones et des élastiques. Ils l’ont fait dans le passé avec Paperclip Carpet et Rubberband Carpet, tous deux aux Pays-Bas.
We Make Carpets, Paperclip Carpet
© We Make Carpets
Briser la routine muséale
En exposant à même le sol, We Make Carpets innove aussi dans la disposition muséale. Hypnotisé par son motif et son assemblage, on est tenté de toucher l’oeuvre, pour voir si le tout est collé, figé sur place. J’ai su résister, mais en effet, l’œuvre n’est pas « collée » sur place : cela ne cadrerait pas avec leur philosophie[iii]. Il est déjà arrivé que leurs œuvres soient abimées, notamment parce que les gens marchent dessus, puisqu’elles sont au sol. Ceci soulève un travail de conscientisation fait, volontairement ou non, par le collectif à travers certains matériaux. Dans Disposable Carpet et Bottle Carpet, la surconsommation est évoquée par les matériaux.
We Make Carpets, Bottle Carpet, 2012
©We Make Carpets
Pour conclure, bien que Bend and Stretch ne présente qu’une courte introduction au monde de We Make Carpets, je crois qu’il s’agit de ce type de travail qu’on ne peut que bien comprendre en l’ayant observé « en vrai ». Belle introduction à ce collectif contemporain, audacieux et engagé.
We Make Carpets – Bend And Stretch
Jusqu’au 15 octobre
Diagonale
5455, ave de Gaspé, espace 110
Métro Laurier
Mardi – samedi : 12 h à 17 h
[i]Traduction libre : « WE MAKE CARPETS does not make carpets. » Wiesje Kuijpers, « Behind the Carpet », WE MAKE CARPETS, En ligne. <http://www.wemakecarpets.nl/About-WMC>. Consulté le 27 septembre 2016.
[ii] We Make Carpets, Paperclip Carpet 2, en ligne. <http://www.wemakecarpets.nl/Paperclip-Carpet-2>. Consulté le 27 septembre 2016.
[iii] Kuijpers, loc. cit.
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AMY ÉLOÏSE MAILLOUX | ÉDITRICE WEB Friande de toutes les formes d’art, Amy commence ses études par un DEC en cinéma et communications avant de bifurquer vers l’histoire de l’art et l’histoire dans le cadre de son baccalauréat à l’UQAM. Dans ses temps libres, elle fait du bénévolat pour divers organismes artistiques, s’abonne au théâtre, visite les musées de Montréal et d’ailleurs et visionne des films en s’adonnant au tricot. Elle poursuit son parcours académique à temps partiel à HEC Montréal pour un DESS en gestion d’organismes culturels, alors qu’elle travaille pour le Centre national de danse-thérapie des Grands Ballets Canadiens de Montréal. Éditrice web pour Ex_situ depuis 2013, elle y met à profit ses intérêts pour les arts visuels et l’édition. Pour plus d’articles écrits par Catherine Lafranchise, cliquez ici. |