Par Laurence Perron
En observant les photos cartes de visite modifiées par Waxhead qui sont présentées à Station 16 jusqu’au 13 novembre, difficile de passer outre l’influence du Street Art, où l’artiste fait ses classes depuis plus de dix ans. Le recouvrement des espaces et des surfaces institutionnelles par une iconographie ludique détournant le sens ou l’usage premier de son support doit beaucoup à l’attitude délinquante (au sens où l’entendrait Michel de Certeau[i], c’est-à-dire un comportement qui compose avec l’ordre pour le subvertir en l’englobant dans sa pratique) du graffeur, que l’on retrouve souvent chez ceux qui se méritent une place dans l’éclectique galerie du boulevard Saint-Laurent.
Waxhead, Untitled #216, photographie vintage avec détails peints à la main
© Galerie Station 16
« Lors des débuts de la photographie au 19ième siècle », peut-on lire sur le site de la galerie, « les cartes de cabinet ou cartes de visites étaient très populaires auprès des classes populaires en tant que solution abordable pour ceux qui souhaitaient se procurer ou offrir un portrait.[ii] » Composée d’une sélection rassemblant près d’une centaine de ces cartes peintes à la main, l’exposition est traversée par une impression de cohérence dont le style parodique est l’élément fédérateur. Artefact historique d’une pratique photographique désormais révolue, ces cartes partiellement recouvertes par l’artiste deviennent le lieu de cohabitation de deux esthétiques radicalement différentes.
Waxhead, Untitled #129, photographie vintage avec détails peints à la main
© Galerie Station 16
Quoique ces portraits revêtent un caractère quelque peu intime, le fait que les visages soient tous redessinés donne à ces photos un aspect anonyme, générique. L’identité du sujet d’origine est dissimulée par le travail de reprise, ce qui crée un effet de désingularisation qui neutralise les individus pour les ravaler dans la masse plurielle. Désormais, leur unicité devient le fait d’une démarche artistique qui remplace la spécificité individuelle de chacun par la subjectivité d’un seul, qui se décline compulsivement, avec chaque fois autant de particularité que celle qu’on peut supposer aux modèles initiaux. Ces images, issues d’une pratique désuète et éminemment historicisée, font l’objet d’une atemporalisation qui les projette tous dans un maintenant de l’expérience visuelle. Dans cet ordre d’idée, le travail de Waxhead est vintage au sens où il recadre dans un maintenant les potentialités d’un avant, qui n’est pas le prétexte d’un retour, mais plutôt d’une réinterprétation. C’est peut-être ce que cherche à indiquer la présence massive des dessins ou des motifs de cristaux, rappelant alors le prisme triangulaire qui capte les rayons pour mieux les faire dévier autre part, transformés par leur passage au travers de la matière transparente qui les décompose.
Waxhead, vue prise pendant le vernissage
© Eli Larin
La scénographie mise en place par la galerie, relativement sobre, mais très éloquente, paraît très sensible à ces particularités de l’œuvre. Entre les cadres où sont exposées les œuvres, quatre tablettes d’un style épuré sont fixées au mur. Sur celles-ci, on peut lire, sur le dos de vieux ouvrages reliés en cuir, des titres comme La Comédie humaine de Balzac, Maria Chapdelaine de Louis Hémon ou encore Les Contemplations d’Hugo. Des titres sommes toutes assez classiques, qui parfois se dédoublent (deux fois Beaumarchais, Sa vie son œuvre et trois copies du même texte de Balzac) et qui côtoient des ouvrages historiques comme L’Histoire de France de Bainville ou The New World de Winston Churchill, ainsi que de vieilles biographies comme Madame Curie d’Ève Curie et Le Duc d’Orléans intime de Colleville. Vies d’hommes illustres, classiques littéraires, évènements charnières, tout s’y trouve pêle-mêle, surplombé de statuettes repeintes et de canettes de peintures rouillées. En plus d’afficher la même obsolescence que les photos cartes de visite, ces arrangements reproduisent l’effet d’aplanissement et d’anhistorisme qui traverse les œuvres de Waxhead. Les empilages d’ouvrages historiques, qui se superposent de manière désordonnée, achronique, indifférenciée, témoignent d’un même esprit de mise à plat des référents qui circulent alors de manière plurivoque sur un plan horizontal. Cette scénographie originale, mais discrète témoigne à la fois du caractère contagieux de l’esthétique de Waxhead et de la collaboration intellectuelle étroite entre un artiste et la galerie qui en présente le travail.
Waxhead
Jusqu’au 13 novembre
Galerie Station 16
3523, boul. Saint-Laurent
Métro Saint-Laurent
Lundi : 9 h à 17 h, mardi-vendredi : 9 h à 19 h et samediL 12 h à 17 h
En en-tête : Waxhead, GROUP #254, photographie vintage avec détails peints à la main © Galerie Station 16
[i]Michel de Certeau, L’invention du quotidien. I Arts de faire. Paris : Gallimard, coll. « folio-essais », 1980.
[ii]Galerie Station 16, Waxhead, en ligne. <http://www.station16gallery.com/collections/waxhead?page=1>. Consulté le 6 novembre 2016. (Traduction libre)
LAURENCE PERRON | RÉDACTRICE WEB Laurence Perron est étudiante à la maîtrise en études littéraires. Sous la direction de Jean-François Chassay, elle s’interroge sur le rôle de la représentation romanesque des figures auctoriales dans l’élaboration d’une poétique d’écriture et elle est présentement assistante de recherche dans le cadre du projet Anticipation de l’ANR. Étant passionnée par la manière dont les récits transfigurent le monde par la mise en forme de l’expérience, Laurence voit dans l’art contemporain une occasion de se confronter à d’autres pratiques narratives et de comprendre les histoires que nous racontent les images. Elle s’est jointe à l’équipe de rédaction web d’Ex situ au cours du printemps 2016. Pour plus d’articles écrits par Laurence Perron, cliquez ici. |