Par Maude Darsigny-Trépanier
Faisant suite à l’exposition Sovereign acts[i] présentée à la Justina M. Barnicke Gallery de Toronto en 2012, la commissaire Wanda Nanibush propose une version plus étoffée à la Galerie Leonard & Bina Ellen de Concordia. Actes de souveraineté II prend place dans la galerie universitaire jusqu’au 1er avril 2017. On peut y voir les œuvres des artistes autochtones Rebecca Belmore, Lori Blondeau, Dayna Danger, Robert Houle, James Luna, Shelley Niro, Adrian Stimson et Jeff Thomas qui, chacun à leur manière, confrontent les stéréotypes identitaires. C’est à travers différents médiums telles la photographie, la vidéo, l’installation et la vidéo d’archive que la commissaire et activiste algonquine orchestre sa vision critique de la performance : « […] certains de ces artistes utilisent la performance elle-même comme point d’entrée dans la réécriture des récits historiques coloniaux d’un point de vue autochtone.[ii] »
Shelley Niro, The Iroquois Is a Highly Developed Matriarchal Society, 1991.
3 hand tinted black and white photographs mounted on mat. Courtesy of the artist
Acte de souveraineté II aborde de manière contestataire la mise en scène de la performance telle qu’utilisée par les anthropologues du XIXe siècle. Plusieurs œuvres présentées déjouent le stéréotype de « l’Indien » en performant cette figure créée et perpétuée tout au long l’histoire coloniale. James Luna, Shelley Niro et Adrian Stimson allient performance et humour dans les œuvres présentées. En performant ainsi le stéréotype donné de manière clichée et grotesque, ces artistes révèlent l’inexactitude qui en découle. Le triptyque de Niro, The Iroquois Is a Highly Developed Matriarchal Society, montre trois portraits photographiques de la mère de l’artiste se faisant coiffer sous un sèche-cheveux rose bonbon des années 1960. Cette scène anodine se veut en fait un pied de nez aux photographies ethnographiques qui relèguent les autochtones à un passé idéalisé, une sorte d’interstice temporel hors de l’évolution de la société occidentale. Or Niro conteste cette dichotomie en y présentant sa mère dans un décor vintage et démontre ainsi son identité réelle et actuelle[iii]. Le titre de l’œuvre permet également de questionner la place des femmes dans la société actuelle ainsi que dans les communautés autochtones. L’artiste met en lumière la dégradation du statut contemporain des femmes autochtones.
Dayna Danger, Kandace (détail), 2016, Trois masques (détail), 2016-17
Crédits: Maude Darsigny-Trépanier
La revendication identitaire par la performance de l’identité sexuelle est aussi mise en abyme par l’artiste métis ojibwée-polonaise, Dayna Danger, qui s’identifie queer. Dans l’exposition, il y a ses impressions monumentales de portraits qui illustrent quatre modèles dévêtis, revêtant un masque noir de cuir ne laissant entrevoir que les yeux et la bouche. La connotation sexuelle se valide aussi par le fait qu’une des modèles porte un collier de cuir garni d’un anneau de métal proéminent. Trois des masques sont exposés, suspendus à la gauche de l’œuvre, couverts de perlage de billes en verre noir. Cette technique artisanale traditionnelle autochtone se déploie maintenant dans un tout autre espace et confronte le stéréotype de la «princesse indienne». L’œuvre offre ainsi une perspective actuelle de la figure traditionnelle du two-spirit[iv]. La performativité de l’identité mixte sert ici de modèle d’empowerment et conteste la société blanche hétéro-normative.
Vue d’exposition, Actes de souveraineté II, 2017 à la Galerie Léonard et Bina Ellen
Crédits: Maude Darsigny-Trépanier
Actes de souveraineté II présente une prise de parole forte de la part de différents artistes autochtones sur l’affirmation de son identité, trop souvent manipulée et façonnée selon les désirs de la société coloniale capitaliste. L’exposition montre à voir le modèle performatif comme un outil de libération, de communication et de remémoration. Les performeurs prennent aujourd’hui toute la place de la galerie pour montrer l’importance de pouvoir se représenter soi-même à sa façon.
Acte de Souveraineté II
Jusqu’au 1er avril
Concert – Mardi 28 février à 17h 30 – Groupe de tambours de femmes autochtones
Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia
1400, boulevard De Maisonneuve Ouest, LB-165
Métro Guy-Concordia
Mardi – vendredi : 12h à 18h, samedi : 12h à 17h
En en-tête: Dayna Danger, Adrienne, 2017, Lindsay & Sasha, 2017 Kandace,
Crédits: Maude Darsigny-Trépanier 2016
[i][i] <http://artmuseum.utoronto.ca/exhibition/sovereign-acts/>
[ii] Wanda Nanibush, Actes de souveraineté, Montréal, Université Concordia, 2017, p.4
[iii] <http://www.britesites.com/native_artist_interviews/sniro.htm>
[iv] « The difference between the modern constructs of gay/lesbian/bi is that they are based on sexual orientation, whereas two-spiritedness is based on gender orientation. This can be difficult concept for people indoctrinated with western binary (male/female) concepts of sexuality. Sexual orientation is based on physical sex characteristics. Gender orientation is not based on physical sex characteristics, but rather on the roles the person chooses to align with. » Michelle Cameron, « Two-Spirited Aboriginal People: Continuing Cultural Appropriation by Non-Aboriginal Society », Canadian Woman Studies/les cahiers de la femme, 2015, no. 2-3, p.124
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MAUDE DARSIGNY-TRÉPANIER | RÉDACTRICE WEB Maude a obtenu un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM et y poursuit sa scolarisation au deuxième cycle. Actuellement, elle est en période de rédaction pour son projet de maîtrise qui porte sur la réappropriation comme geste politique dans l’œuvre de Nadia Myre. Maude cultive un grand intérêt pour les pratiques artistiques politiques et engagées. Son coup de cœur pour les pratiques d’artistes autochtones est né à la vue de l’œuvre Fringe de Rebecca Belmore lors d’un cours universitaire. Employée de l’UQAM depuis 2017, elle travaille comme assistante de recherche auprès de Dominic Hardy. Elle est également bénévole depuis 2 ans à la Foire du papier et se joint à l’équipe de la revue Ex_situ à titre de rédactrice web à l’hiver 2017. Pour plus d’articles écrits par Maude Darsigny-Trépanier, cliquez ici. |