Le monde de demain de Skawennati: Décoloniser le cyberespace

Par Eli Larin

Jusqu’au 18 mars au centre d’artistes OBORO, l’exposition Le monde de demain de l’artiste multimédiatique Skawennati nous propose de plonger dans un univers où mythes et identités autochtones, science-fiction et cyberespace s’unissent dans une vision futuriste autochtone. L’artiste, née à Kahnawá:ke territoire Mohawk, est diplômée d’un Baccalauréat ès beaux-arts (BFA) de l’Université Concordia et est bien connue à Montréal. Plusieurs ont pu voir sa série Timetraveller TM (2008-2013) à la Biennale de Montréal de 2014 ou encore assister à sa présentation à Re-Create 2015, le colloque international de Media Art Histories. Elle est de plus très active dans la promotion et recherche des arts médiatiques autochtones en tant que cofondatrice et codirectrice d’Aboriginal Territories in Cyberspace (AbTeC). La récente exposition solo de l’artiste s’inscrit dans la même logique que ses vidéos de Timetraveller TM, également réalisées dans Second Life, et de son travail avec AbTeC, étant centré autour de l’exploration des outils de nouveaux médias pour exprimer les histoires et identités autochtones.

Crédit photo: Paul Litherland, 2017.

L’exposition à OBORO, qui fait partie de la programmation officielle du 375e anniversaire de Montréal, présente deux nouveaux machinimas (machine et cinéma) par Skawennati, en plus de treize machinimagraphies (machine et photographie). Ces œuvres furent créées dans Second Life, un monde virtuel en ligne où il est possible de construire des environnements, réaliser des films et des images ou simplement explorer et interagir avec d’autres usagers. Plusieurs des machinimagraphies sont basées sur le court-métrage de science-fiction She Falls For Ages (2017), qui réinterprète l’histoire de la Création haudenosaunee [i], aussi appelée le Mythe de celui qui attrape la terre. Une portion de l’exposition explore l’avatar que l’artiste a créé à son image, avec notamment l’œuvre Dancing With Myself (2015), un diptyque dont j’ai déjà parlé à Ex_situ. Si je m’étais alors penchée sur la construction des identités par Skawennati dans le cyberespace, je me suis intéressée pour cette exposition à notre conception du cyberespace en tant que terra nullius. Le choix du terme n’est pas accidentel, puisque je vois une corrélation directe entre notre approche colonialiste de cet espace virtuel et celle ayant motivé les colons de Montréal sur le territoire non cédé des Kanien’kehá:ka (Mohawks).

Skawennati, She Falls For Ages, 2017.
Crédit photo: Paul Litherland, 2017.

Dans son essai, Terra Nullius, Terra Incongnito, le co-fondateur et co-directeur d’AbTeC Jason E. Lewis débute en disant que « Nous sommes tous des immigrants dans le cyberespace » [ii]. Dans ce monde virtuel que nous côtoyons au quotidien, est-il possible de se défaire d’une méthodologie colonialiste d’occupation de l’espace? Il s’agissait déjà du questionnement qui préoccupait la cinéaste Métis/Cri Loretta Todd, lorsqu’elle demandait en 1996

Le cyber espace permettra-t-il aux gens de communiquer de manière à rompre les relations de pouvoir entre colonisateur et colonisé? Ou est-il une habile invention du néocolonialisme, où la tyrannie trouvera de nouveaux domaines? [iii]

Si l’exposition de Skawennati ne peut amener une réponse univoque à ces questions, l’usage d’outils technologiques récents et d’une esthétique de science-fiction pour raconter des histoires haudenosaunee permet du moins de réclamer une place pour les peuples autochtones dans le cyberespace et le futur imaginaire. Il s’agit déjà de beaucoup pour une seule exposition.

Le monde de demain – Skawennati
Jusqu’au 18 mars 2017
OBORO
4001, rue Berri, local 301
Métro Mont-Royal
Mardi – samedi: 12h à 17h


[i] « Les Kanien’kehá:ka (peuple du silex) sont l’une des six nations formant les Haudenosaunee
(communément appelée la nation Mohawk et la confédération Iroquoise). » Jolene Rickard, Opuscule de l’exposition Le monde de demain de Skawennati, Janvier 2017. En ligne. <http://www.oboro.net/sites/www.oboro.net/files/pdf/opuscules/opuscule-skawennati-web-fr.pdf&gt; Consulté le 28 février 2017.
[ii]“We’re all immigrants in cyberspace.” Jason E. Lewis, « Terra Nullius, Terra Incognito », Blackflash, vol. 21, issue 3, Juin 2005.
[iii]“Will cyberspace enable people to communicate in ways that rupture the power relations of the
colonizer and the colonized? Or is cyberspace a clever guise for neocolonialism, where tyranny will find further domain?” Loretta Todd, « Aboriginal Narratives in Cyberspace », in Immersed in Technology Art and Virtual Environments, (sous la dir. de), Douglas MacLeod et Mary Anne Moser, Cambridge, Mass: MIT Press, 1996, 180.

 

ELI LARIN | RÉDACTRICE WEB

Eli a complété un DEC en création littéraire, un DEC technique en photographie et une mineure en communication avant de poursuivre sa formation avec une majeure en histoire de l’art à l’UQAM. Elle entame sa première année de la maîtrise en histoire de l’art à Concordia en septembre. Ces différents parcours se rejoignent étonnamment bien à l’intérieur de sa pratique artistique et ses recherches académiques. Ses domaines d’intérêt sont la culture web, la performance du genre féminin dans ce nouvel espace public et les intersections de ces sujets avec l’art contemporain. Ses textes ont été publiés dans la revue Ex_situ et Yiara, et ses photographies dans le magazine Ciel Variable et le blogue d’esse.

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