« Tu ne peux pas appeler des autochtones parce que tu te rends compte que tu n’en a pas programmé » : Entretien sur Printemps autochtone d’Art 3 avec Dave Jenniss

Par Maude Darsigny-Trépanier

Dave Jenniss, acteur, auteur et co-directeur artistique d’Ondinnok, première compagnie théâtrale francophone amérindien au Canada, a accepté de s’entretenir avec moi au sujet de l’évènement Printemps autochtone d’Art 3. Je voulais comprendre les rouages de l’évènement multidisciplinaire qui procure une grande visibilité aux artistes autochtones à Montréal et qui se passe en plein cœur des festivités montréalaises du 375e de Montréal et du 150e du Canada.

Portrait Dave Jenniss
© Myriam Cloutier

Maude Darsigny-Trépanier : Vous décrivez votre théâtre comme un « théâtre de guérison », qualifieriez-vous de la même façon les projets de Printemps autochtones d’Art?

Dave Jenniss : Oui, oui! C’est une excellente question en fait! Tous les projets pour notre Printemps 3, je les vois un peu sous la forme de guérison-réconciliation [justement en lien] avec [la commission] Vérité et Réconciliation. C’est un peu des appels à l’action qu’Ondinnok fait. Les recommandations que le gouvernement demandait, c’était justement de faire des appels à l’action et nous avons décidé de les faire avec notre art, le théâtre, la danse. Les Printemps sont des projets très personnels en fait. Il y a trois projets sur scène, il y a El Buen Vestir, qui est un projet personnel de Leticia Verra et Carlos Riverra qui parle du souvenir, des costumes et de cette notion d’immigration […]. Il y a aussi mon spectacle qui s’appelle Ktahkomiq [Territoire] et qui parle de l’identité, du fait qu’on ne parle pas notre langue et toute la problématique. Est-ce qu’on se sentirait plus autochtone si on parlait la langue de notre nation? […] Ça, ça fait partie d’une forme de réconciliation. On se réconcilie avec qui on est comme artiste, avec notre histoire et après ça on va aller sur la scène pour le partager avec le public. […] C’est guérissant pour nous et je crois que pour le public aussi!

Maude : Dans les trois expositions de Printemps autochtone d’Art, vous réclamez la place qui vous revient en tant qu’autochtone à Montréal, au Québec, au Canada et plus largement dans le monde. Ressentez-vous qu’un changement de réception s’opère auprès du public depuis quelques années?

Dave : C’est sûr qu’Ondinnok a toujours sa base de fidèles qui ont toujours été proches de la compagnie. Donc, c’est sûr qu’avec cette base-là, ça se parle! Aussi, on ne se cachera pas que les réseaux sociaux, depuis quatre ou cinq ans, aident également beaucoup. On peut rejoindre plus de gens. Ce qui est intéressant aussi avec le Printemps, c’est qu’on touche à plusieurs secteurs […]. Pour répondre plus précisément à ta question, depuis qu’il y a eu le rapport Vérité et Réconciliation on dirait que là, tout d’un coup, les gens se rendent compte qu’il y a une histoire autochtone, un art autochtone qui existent. Mais c’est un éternel recommencement pour faire reconnaitre et connaitre notre travail. Moi, je trouve qu’on est sur une bonne lancée! […] Nous nous sommes aussi complètement dissocié de toutes les fêtes du 375e du 150e[i].

Maude : Justement, étant donné que, cette année, la biennale tombe en même temps que les célébrations de l’histoire colonialiste de Montréal et du Canada, avez-vous dû faire quelque chose différemment sur le plan organisationnel? Avez-vous eu une invitation de la part de la Ville de Montréal pour vous joindre aux évènements?

Dave : Oui, oui. En fait, nous avons eu une réflexion sur ce point en équipe. On ne se cachera pas qu’il y avait une part d’argent là-dedans […]. Mais pour nous, c’est plus que ça. Il faut quand même un minimum de respect, et on a trouvé qu’il n’y avait pas eu de respect mutuel de la part des organisateurs du 375e. Tu ne peux pas appeler des autochtones parce que tu te rends compte que tu n’en as pas programmé, et d’appeler trois, quatre mois avant; nous, on était déjà dans le Printemps depuis un an! Pour nous, c’était simplement un manque de respect. La réflexion n’a pas été très longue là! On est déjà passé à autre chose […]. Mais je ne dis pas que s’ils nous avaient consultés avant et s’ils nous avaient embarqués dans le processus de création, la situation aurait peut-être été différente. Quand même, le 375e de Montréal, comme disait Yves Sioui Durand « Qu’est-ce qu’on fête nous? » : 375 ans de non-respect de qui nous sommes!

Maude : Que considérez-vous comme une réussite propre à l’évènement de cette année?

Dave : Cette année, il y a vraiment un tournant pour la compagnie, mais aussi pour l’ensemble des artistes autochtones. Le 17 et le 18 mai à l’agora de l’Université de Montréal, il y aura un évènement appelé État des lieux. On a décidé de le créer parce qu’on manquait de points de rencontre où les artistes autochtones de milieux différents pouvaient se rejoindre et discuter ensemble. Avec les distances [physiques] qui existent, souvent les artistes ne se connaissent pas entre eux. Donc, pour nous, c’était le meilleur moment de [l’inclure] dans cet évènement du Printemps d’art 3.

Maude : Guy Sioui Durand avait été le commissaire de la première exposition d’art visuel (PAA1), Sylvie Parée la commissaire de la deuxième et maintenant vous avez choisi de travailler avec Hannah Claus et Caroline Monnet (pour le commissariat des vidéos), est-ce important pour vous d’avoir la parité dans vos projets?

Dave : Oh! La parité hommes-femmes? Je pense que ça vient tout seul. Je pense que ça tombe comme ça. Avec Hannah, le choix s’est fait assez naturellement. […] Il est arrivé comme une suite logique [étant donné] qu’on présentait des artistes mohawks, de demander à Hannah. Et c’est son premier commissariat, elle était bien heureuse! Elle était même surprise [qu’on ait pensé à elle]. Le festival va être un beau travail!

Printemps autochtone d’Art 3

Lancement de l’événement et vernissage
26 avril 2017
Maison de la culture Frontenac
2550, rue Ontario Est
Métro Frontenac
17h à 19h

Prélude printanier
5 minutes pour que je te dise
1er au 29 avril
Dans divers théâtres montréalais : Agora de la danse, Espace Libre, Théâtre Aux Écuries, Théâtre Denise-Pelletier, Théâtre Prospero, Théâtre de Quat’Sous, Théâtre du Rideau vert, Tangente et Usine C

Exposition
Tehatikonhsatatie : Pour celles et ceux qui nous suivront
Du 26 avril au 3 juin 2017
Vernissage: 26 avril à 17h | Conférence: 4 mai à 19h | Visite commentée: 3 juin à 15h
Maison de la culture Frontenac, studio 1
2550, rue Ontario Est
Métro Frontenac
Du mardi au jeudi de 12h à 19h | Du vendredi au dimanche de 12h à 17h

Spectacles
Ktahkomiq
27 avril | 19h à la Maison de la culture Frontenac
28 avril | 20h à la Maison de la culture Frontenac
4 mai | 20h à la Maison de la culture NDG
12 mai | 19h30 à la Maison de la culture Montréal-Nord

El buen vestir | Tlakentli
Avant-première 6 mai | 20h à la Maison de la culture Pointe-aux- trembles
10 au 12 mai | 20h au Monument-National, Quartier des spectacles
17 et 18 mai | 19h à la Maison de la culture Frontenac

Soirée Courts Métrages de réalisatrices autochtones
3 mai
Maison de la culture Frontenac
19h

Soirée de clôture
Wampum-Kaionn’i
22 juin
Place des Arts, cinquième salle
175, rue Sainte-Catherine
Métro Place-des-Arts
20h

En bannière: Vue de la pièce de théâtre-danse Ktahkomiq, 2017
© Myriam Cloutier


[i]Yves Sioui Durand, fondateur d’Ondinnok et du Printemps autochtone d’Art, souligne son statut et son identité avec la dissociation du festival Printemps autochtone d’Art et des célébrations colonialistes : « Ce contexte n’est pas le nôtre. Il a été décidé par la société dominante, celui du 375e anniversaire de Montréal et du 150e du Canada. Pour nous, ce n’est pas le lieu d’une célébration. Nous n’avons rien à célébrer cette année. »

 

MAUDE DARSIGNY-TRÉPANIER | RÉDACTRICE WEB

Maude a obtenu un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM et y poursuit sa scolarisation au deuxième cycle. Actuellement, elle est en période de rédaction pour son projet de maîtrise qui porte sur la réappropriation comme geste politique dans l’œuvre de Nadia Myre. Maude cultive un grand intérêt pour les pratiques artistiques politiques et engagées. Son coup de cœur pour les pratiques d’artistes autochtones est né à la vue de l’œuvre Fringe de Rebecca Belmore lors d’un cours universitaire. Employée de l’UQAM depuis 2017, elle travaille comme assistante de recherche auprès de Dominic Hardy. Elle est également bénévole depuis 2 ans à la Foire du papier et se joint à l’équipe de la revue Ex_situ à titre de rédactrice web à l’hiver 2017.

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