Entretien avec Hannah Claus à propos de la troisième biennale de Printemps Autochtone d’Art

Par Maude Darsigny-Trépanier

À l’approche du Printemps Autochtone d’Art 3 (PAA3) qui se tiendra durant les célébrations colonialistes du 375e de la ville de Montréal et du 150e de la Confédération canadienne, je voulais m’entretenir avec Hannah Claus, commissaire de l’exposition Tehatikonhsatatie : Pour celles et ceux qui nous suivront présentée à la Maison de la Culture Frontenac du 26 avril au 3 juin.

Babe Hemlock, Continuing the Legacy, 2013
© Stephen Lang

Maude Darsigny-Trépanier : Les expositions Fabuleux dédoublements (PAA1) et Oubliées et disparues (PAA2) traitaient [de] l’identité de manière politique et revendiquaient une prise de conscience sociale, Pour celles et ceux qui nous suivront s’inscrit-elle dans la même lignée?

Hannah Claus : Je dirais que la grande différence, c’est vraiment que ce sont des artistes qui sont Kanien’kehá:ka [Mohawk]. Je pense que juste le fait d’être autochtone est assez politique : d’assumer et de vivre sa culture, sa communauté là où nous sommes dans la société occidentale. […] Fabuleux Dédoublements [PAA1] avait un peu la même optique, mais le commissaire Guy Sioui Durand montrait la panoplie d’identités autochtones des différentes nations. C’était important pour lui de présenter pas seulement les nations du Québec. Je me souviens qu’il y avait aussi David Garneau qui est Cri des Plaines de l’ouest du Canada. […] Et puis, ce qui m’intéressait pour cette exposition-ci c’était d’inviter et de montrer le travail de deux artistes Kanien’kehá:ka puisque c’est leur territoire: ils habitent à côté.

Maude : Babe et Carla Hamelock ont appris à maitriser leur technique de manière traditionnelle et non dans les écoles d’art canadiennes. Carla expliquait qu’elle réalisait d’abord des courtepointes pour des showers de bébés. Est-ce pour cela que le travail de ce duo est souvent catégorisé d’artisanat?

Hannah : Oui, je dirais que ça a commencé comme ça. À la base, leur art s’inscrit dans les [catégories] d’objets utilitaires, mais ils les travaillent pour les amener au-delà : ils deviennent des objets d’art. […] Ce sont des objets qui sont faits à base de fibres textiles. À la limite, ce sont des courtepointes, mais elles sont mises sur le mur plutôt qu’utilisées sur un lit!

Je pense qu’il y a une plus grande ouverture aux États-Unis pour ce genre de collection puisque c’est quelque chose de très différent des pratiques d’art des gens formés dans les écoles avec l’idée occidentale de ce qu’est l’art. C’est [ce] que je veux dire par différence. Je n’aime même pas utiliser le mot « artisanat » parce que je pense qu’il limite et circonscrit l’objet dans une autre catégorie qui est considérée différemment de l’art […].

[Dans leur pratique] il y a des objets d’art, des courtepointes qui sont en quelque sorte pour la famille car elles sont basées sur un évènement [familial]. Par exemple, un petit évènement quotidien [à propos de] la nièce de Babe : leur chien avait rencontré un porc-épic et la sacoche de la petite fille s’était emmêlée dans les pics. Et puis, elle a dit : « Oncle Babe, il me faudrait une nouvelle sacoche! ». [Babe] l’avait aidée à sortir les pics de la sacoche après. Carla avait fait une courtepointe en utilisant une photo de lui qui sortait les aiguilles de porcs-épics et le titre c’est Uncle Babe, I Need a New Purse. Il y a des petites histoires comme ça…

En même temps, il y a une œuvre que [Carla] a créée, qui, selon moi, est plus politique. [Elle est en lien] avec le passeport haudenosaunee [iroquois] qui se base sur [l’événement][i] des membres de l’équipe de crosse qui allaient jouer pour le mondial en Europe et qui voulaient utiliser leur passeport haudenosaunee. Ils ne voyagent pas avec des passeports canadiens – ils n’en n’ont pas –, ils ont des passeports haudenosaunee. Ils n’arrivaient pas à sortir du pays avec ça. Haudenosaunee Passport est basé sur cet évènement-là, alors c’était quelque chose de politique, une prise de position de leur souveraineté en tant que peuple haudenosaunee et non pas canadien.

Carla Hemlock, Haudenosaunee Passport, 2010
Coton, satin, perles de verre, appliqué. Collection de Kanen’tokon Hemlock
© Stephen Lang

Maude : Carla Hemlock dit que son travail de « quilt maker » dans son œuvre We Remain Haudenosaunee doit ouvrir le dialogue sans offenser le public. Cette vision s’extrapole-t-elle à l’ensemble de l’exposition? Pour ouvrir un dialogue, faut-il absolument le faire sans choquer l’autre?

Hannah : Ouvrir un dialogue sans choquer l’autre… Je pense que dans l’exposition il y a une variété de choses et j’ai du mal à savoir qu’est-ce qui peut choquer l’un et ne choquera pas l’autre tu sais, alors c’est dur à dire. [rires] Je pense que l’intention, c’est toujours de présenter quelque chose consciemment, avec réflexion. […] Tu sais, ce que j’aime avec l’exposition, c’est qu’il y a des objets qui montrent tout un… j’essaie de penser à un mot en français… it’s show a wide range of intentions!

Maude : Le travail de Babe et Carla Hemlock s’organise notamment autour du thème de la famille. Comment leur œuvre s’inscrit-elle dans le contexte particulier de la biennale de cette année qui se déploie en même temps que les célébrations colonialistes du 375e de la ville de Montréal?

Hannah : D’une part, je ne dirais pas que le [sujet] du travail de ces artistes est juste en lien avec la famille : c’est un des sujets qu’ils parlent. L’exposition n’est pas juste à propos de ça. Je dirais plutôt que c’est autour des valeurs des Mohawks et de ce qu’est la culture mohawk ou Kanien’kehá:ka. Et c’était dans cette optique-là que je les avais invités. […] En même temps, ils traitent aussi des questions de l’environnement et de cette relation avec les autres qui est importante. […] Justement, le titre signifie une des philosophies clés de la culture Kanien’kehá:ka qui est de penser, de réfléchir et de faire des actes réfléchis puisque tout cela aura un impact sur les générations qui nous suivront. […] Tu sais, cette idée de relation de famille ne s’arrête pas à elle. Le concept de ce qui est inanimé et animé a autant d’importance là-dedans. Il n’y a pas de hiérarchie. […] C’est sûr que je laisserai Yves parler de l’aspect plus politique, mais je pourrais dire que moi, quand j’ai choisi les artistes, je trouvais cela important d’avoir des artistes Kanien’kehá:ka pour l’exposition, de montrer leur travail, car c’est leur territoire : ils habitent à Kahnawake, de l’autre côté de la rivière. Et ils n’ont jamais montré leurs œuvres à Montréal. Ils ne sont pas connus à Montréal et c’était le temps de les faire connaitre, alors qu’il y a cette célébration de Montréal, du Canada et du reste. Pourquoi ne pas montrer les gens qui sont juste là, qui sont ici?

Tehatikonhsatatie : Pour celles et ceux qui nous suivront
Du 26 avril au 3 juin 2017
Vernissage: 26 avril à 17h | Conférence: 4 mai à 19h | Visite commentée: 3 juin à 15h
Maison de la culture Frontenac, studio 1
2550, rue Ontario Est
Métro Frontenac
Du mardi au jeudi de 12h à 19h | Du vendredi au dimanche de 12h à 17h


[i]The British government was last night refusing to allow a native American team into the country to take part in a lacrosse competition. Only hours after the US government backed down in a row with the Iroquois team over passports, the team’s hopes of making it to the UK were dashed when the British government denied them entry. The Iroquois team had been due to fly to the UK on Sunday for the opening game tonight against England in Manchester. For the last three decades, the Iroquois have travelled using their own documents, as agreed by the US, Britain, Canada and other nations. But the US, under new stringent travel rules, insisted that they now use US passports, which the Iroquois do not recognise.
https://www.theguardian.com/world/2010/jul/15/iroquois-lacrosse-team-passports-visa-us-uk

 

MAUDE DARSIGNY-TRÉPANIER | RÉDACTRICE WEB

Maude a obtenu un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM et y poursuit sa scolarisation au deuxième cycle. Actuellement, elle est en période de rédaction pour son projet de maîtrise qui porte sur la réappropriation comme geste politique dans l’œuvre de Nadia Myre. Maude cultive un grand intérêt pour les pratiques artistiques politiques et engagées. Son coup de cœur pour les pratiques d’artistes autochtones est né à la vue de l’œuvre Fringe de Rebecca Belmore lors d’un cours universitaire. Employée de l’UQAM depuis 2017, elle travaille comme assistante de recherche auprès de Dominic Hardy. Elle est également bénévole depuis 2 ans à la Foire du papier et se joint à l’équipe de la revue Ex_situ à titre de rédactrice web à l’hiver 2017.

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