Par Eli Larin
Hier soir, le 27 juin, marquait le début du festival international d’art numérique Elektra, avec la soirée Automata 2: The Big Data Spectacle à l’Usine C, un événement qui se répète ce soir. Pour une deuxième année de suite, Elektra présente la très acclamée performance robotique INFERNO de Bill Vorn et Louis-Philippe Demers. À travers les deux étages de l’Usine C sont aussi présentées cinq installations d’art numérique par des artistes locaux et internationaux qui explorent l’impact du contrôle de la technologie dans nos vies. Le contrôle des corps humains par les machines est bien sûr au cœur d’INFERNO. Pour la performance d’une heure, des spectateurs furent pigés au sort pour se doter d’un des vingt-quatre exosquelettes de 12 kg opérés à distance par les artistes dans une chorégraphie d’une heure. J’ai eu la chance d’être performeuse pour un soir, une expérience ludique malgré ce que suggère le titre tiré de l’œuvre de Dante sur les cercles de l’Enfer. L’œuvre a tout de même suscité pour moi des réflexions intéressantes au niveau de l’incarnation (ou embodiment) et de consentement, particulièrement en tant que femme étant contrôlée à distance par deux hommes.
Bill Vorn et Louis-Philippe Demers, INFERNO, Juin 2016. Gracieuseté du Festival Elektra
Dans la salle attenante à celle où est présentée INFERNO, Norimichi Hirakawa présente la sculpture audiovisuelle monumentale The Indivisible (Prototype N.1), qui procède d’un défilement rapide et hypnotisant de pixels et de bruitage électronique pour traiter des métadonnées. Au même étage, Enigma, de Yan Breuleux et Alain Thibault, est une installation audio vidéo numérique qui aborde avec humour les similarités entre codage de l’information, décryptage, philosophie et les relations humains-machines. Ces relations sont aussi le sujet de l’œuvre interactive Chair Walker 2.0. de YoungKak Cho, qui comporte des chaises robotisées et équipées de capteurs de motion s’éloignent progressivement du spectateur. Un peu plus loin, on retrouve aussi l’œuvre de Junbong Song et Jaehyuck Bae, Light Wave, une installation lumino-cinétique absolument saisissante qui crée des illusions optiques par les mouvements de lumières DEL fixées à un mur. Une autre œuvre interactive se retrouve au rez-de-chaussée; A Truly Magical Moment d’Adam Basanta, qui présente deux iPhone tournant en cercle l’un vers l’autre, nous rappellant une scène de film où deux amoureux se tourne autour.
Bill Vorn et Louis-Philippe Demers, INFERNO, Juin 2016. Gracieuseté du Festival Elektra
La performance INFERNO de Vorn et Demers pour sa part, prend place dans une grande salle, éclairée de lumière rouge. Au milieu, se trouvent les exosquelettes, à niveau du sol avec les spectateurs. Au son d’une trame sonore électronique dynamique, et à l’occasion inquiétante, les artistes contrôlent les mouvements des performeurs à distance avec des manettes ressemblant à celles dans les jeux vidéos. En jouant avec les lumières de la salle, les lampes stroboscopes et les lumières posées sur les exosquelettes, une ambiance dramatique est créée. L’expérience de porter l’exosquelette, malgré la conformité suggérée par les uniformes et la structure répétitive des exosquelettes, s’avère à être unique pour chaque participant, même si tous ont bien sûr consenti à y prendre part. La question de la nature du consentement est intéressante à soulever aussi, et est surtout pertinente à mon rapport à l’œuvre, en tant que femme étant contrôlée à distance par deux hommes. En effet, si le consentement des participants était librement donné, il n’était pas pleinement informé, puisque nous ne savions pas à l’avance quels actes nous serions forcés à exécuter. De plus, malgré les assurances fournies par les artistes et l’équipe de soutien, la possibilité de mettre fin à notre participation pouvait s’avérer difficile. Le signal devait être donné visuellement que nous voulions arrêter, mais avec une luminosité extrêmement faible et des effets stroboscopiques fréquents, ceci pouvait être difficile.
Bill Vorn et Louis-Philippe Demers, INFERNO, Juin 2016. Gracieuseté du Festival Elektra
Ainsi, j’attendais le début de la performance avec une certaine appréhension. En regardant la foule encerclant les exosquelettes, je me suis rappelée l’œuvre de Dante, et je nous imaginais sur le bord du précipice du premier cercle de l’Enfer. Je m’attendais à me sentir détachée de mon corps une fois que les mouvements du haut de mon corps ne répondraient plus à mes désirs, mais à ceux d’un autre ; toutefois, le contraire s’est produit. Le poids de l’apparatus et la chaleur inconfortable créée par l’uniforme et l’effort physique m’ont forcé à davantage habiter mon corps. Mon attention était entièrement dominée par la question de quel serait le prochain mouvement de mon corps, laissant peu de temps pour intellectualiser l’expérience, une réaction fréquente selon Demers[i]. Malgré cette description un peu sinistre, l’expérience fut ludique. Les participants riaient nerveusement, souriaient et dansaient. La foule nous encourageait et applaudissait à la fin de chaque segment musical. La sensation de laisser-aller pouvait devenir agréable, méditative même, si on acceptait de se soumettre à l’autorité de la machine. Il s’agit peut-être d’une bonne préparation à la subjugation des humains aux machines, une fois que nous aurons atteint la singularité technologique. La performance se répète ce soir à 21 h, à l’Usine C.
Automata 2: The Big Data Spectacle, présenté par le Festival Elektra
Ce soir, le 29 juin 2017, de 21 h à 1 h
Usine C
1345, avenue Lalonde
Métro Beaudry
En bannière: Bill Vorn et Louis-Philippe Demers, INFERNO, Juin 2016. Gracieuseté du Festival Elektra
[i]Stéphanie Dupuis, « Festival Elektra: Quand la science-fiction devient réalité », La Presse+, 29 juin 2017. <http://plus.lapresse.ca/screens/4f630c5a-b182-4541-9684-8d1b637c5769%7C_0.html>. Consulté le 29 juin 2017.
ELI LARIN | RÉDACTRICE WEB Eli a complété un DEC en création littéraire, un DEC technique en photographie et une mineure en communication avant de poursuivre sa formation avec une majeure en histoire de l’art à l’UQAM. Elle entame sa première année de la maîtrise en histoire de l’art à Concordia en septembre. Ces différents parcours se rejoignent étonnamment bien à l’intérieur de sa pratique artistique et ses recherches académiques. Ses domaines d’intérêt sont la culture web, la performance du genre féminin dans ce nouvel espace public et les intersections de ces sujets avec l’art contemporain. Ses textes ont été publiés dans la revue Ex_situ et Yiara, et ses photographies dans le magazine Ciel Variable et le blogue d’esse. Pour plus d’articles écrits par Eli Larin, cliquez ici. |