Les esprits de l’Amazonie au Musée Pointe-à-Callière, une expérience éphémère et envoûtante

Par Magalie Lapointe-Libier

Le Musée Pointe-à-Callière présente jusqu’au 22 octobre Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt. Cette exposition regroupe environ 500 objets provenant des collections des Musées royaux d’Art et d’Histoire (MRAH), du Musée d’ethnographie de Genève (MEG) et de certains musées québécois. Je conseille aux visiteurs de prévoir un minimum de deux heures pour avoir le temps d’apprécier toute la beauté de ce qui est présenté. Ces objets sont un témoignage des peuples passés et présents de l’Amazonie. Cette dernière, vaste région de l’Amérique du Sud, réunit 9 pays. Elle comporte en son sein la forêt amazonienne et l’Amazone, fleuve qui a le plus haut débit de la planète et est le deuxième plus long fleuve au monde.

Le Vieux-Montréal offre un décor chaleureux et enjoué, et dès qu’on accède à l’exposition, l’intimité de celle-ci nous enveloppe par son installation auditive, où on entend la faune et la flore de l’Amazonie, les criquets et les pépiements d’oiseau, et par son éclairage clair-obscur. Les sonorités diffèrent selon la pièce, car chacune représente un des nombreux aspects des peuples de l’Amazonie. L’exposition est également séparée en deux parties : la première traite de leur anthropologie et de leur spiritualisme; la deuxième partie est plus exhaustive, se concentrant sur 15 peuples.

Le premier segment traite de l’anthropologie de ces peuples, en nous présentant dès notre entrée une parure Ka’apor personnifiant Maira. La majorité des œuvres sont sous verre, représentation classique des musées. Un éclairage met en valeur les objets voulus, laissant les visiteurs dans une pénombre quasi inquiétante. La pluralité des objets de cette première partie démontre la diversité des civilisations amazoniennes et la richesse de ce peuple autochtone. L’aménagement nous incite à suivre un sentier. Au centre, il y a l’installation ethnofleuve, une vidéo projetée sur des tables blanches, faisant écho à l’ambiance naturelle qui règne. Une eau bleue et verte, mêlée à des photographies d’archive, y flotte en mouvance. Suivant le petit chemin, nous apprenons l’histoire de l’Amazonie et nous apercevons des haches datant de la période pré-colombienne jusqu’au XXe siècle; de petites figurines, des masques et des diadèmes, des plats en céramique datant de 400 à 1400 provenant de la culture marajoara, etc.

De gauche à droite : un masque et deux diadèmes : Masque cara grande tapirapé, Brésil, milieu XXe siècle; Diadème wirara ou akangatar, Brésil, milieu XXe siècle; Diadème cérémoniel masculin me-àkà, Brésil, milieu XXe siècle
© J. Watts, Collection du MEG – Musée d’ethnographie de Genève

Un cartel, un peu plus loin, décrit la découverte du caoutchouc par les Français : au XVIIIe siècle, un explorateur français aurait découvert ce latex végétal, qui permettait aux souliers des Autochtones d’être imperméables. Ce nouveau savoir aurait amené l’une des premières exploitations massives de la forêt amazonienne vers 1850. Les peuples de l’Amazonie, vivant en communion avec la nature et la respectant, ont été chamboulés par la présence d’un peuple colonisateur croyant que posséder est justifiable (le gouvernement du Brésil participe aussi à ce mode de pensée, créant dès la fin des années 1960 des projets de développement accélérant l’exploitation des ressources et la colonisation en Amazonie[i]).

Compte tenu de l’immensité de l’exposition, cet article ne s’attardera que sur quelques photographies de Claudia Andujar, photographe brésilienne d’origine suisse, et une installation de Gisela Motta et Leandro Lima. Ces éléments sont situés dans la première partie de l’exposition. Ce texte n’abordera donc pas la deuxième partie, qui a pour sujet les 15 peuples habitant le long du fleuve Amazone, de son embouchure à sa source : les Wayana, les autres peuples de langue arawak ou caribe, les Ka’apor, les Kayapó, les Karajá, les peuples du Xingu, les Bororo, les Munduruku, les Rikbaktsá, les Nambikwara, les Yanomami, les Tukano, les Ticuna, les Jivaro et finalement, les peuples de la Haute Amazonie. Je vous incite fortement à aller voir l’exposition dans son entièreté et ainsi découvrir la grandeur imprégnant les peuples de l’Amazonie. Le Musée Pointe-à-Callière a réussi à faire ressortir de ces objets figés leur essence spirituelle, guerrière et surtout authentique, qui vous empoigne le cœur et vous fait réfléchir, fait prendre conscience de la réalité des Autochtones de l’Amazonie.

Claudia Andujar
Dans la deuxième salle, la trame sonore change; elle est plus chargée, on croirait entendre le souffle des esprits des chamanes et les sons sibyllins émergeant des tréfonds de la forêt. Cette pièce a pour thème la spiritualité des Autochtones de l’Amazonie. Selon leur croyance, les chamanes servent de médiateur entre le monde physique et le monde indicible. Pour accéder à celui-ci, ils doivent ingérer ou inhaler une substance hallucinatoire. Claudia Andujar est une photographe née en Suisse en 1931, qui a émigré au Brésil en 1956. Vers les années 1970, elle s’intéresse aux Yanomami, peuple de chasseurs et d’horticulteurs de la forêt amazonienne. Leur territoire se situe entre le Brésil et le Venezuela. Elle les photographiera pendant près de 30 ans et défendra leurs droits, se battant pour qu’ils aient une réserve et un territoire protégé[ii]. Les photographies présentées dans l’exposition font partie de la série Sonhos Yanomami [Rêves Yanomami], Andujar les prendra durant un passage chez les Yanomami. Dans la pièce, trois de ses œuvres sont présentées au fond à gauche, juste à côté de la sortie qui permet d’accéder à la deuxième partie de l’exposition. La quatrième photographie est au fond à droite de la pièce.

Claudia Andujar, Forêt amazonienne, Para, série Sonhos Yanomami [Rêves Yanomami], 1971 (2015). 100 x 100 cm
© Claudia Andujar, Collection du MEG – Musée d’ethnographie de Genève

Cette photographie se nomme Forêt amazonienne, Para (1971 (2015)), et frappe le regard par le ravissement qu’elle procure. En son centre, il y a le visage illuminé d’un Amérindien par une vision portée au loin. Son regard plein de rêverie et des bras sont en superposition dans l’image, ceux-ci s’élançant vers les cieux. Le fond, qui est la forêt amazonienne, est en plan de contre-plongée. Le tout converge vers le visage de l’homme. Son esprit semble survoler les arbres, la forêt, pour aller au-delà. Selon l’animisme, mode de pensée des Autochtones de l’Amazonie, l’être humain est au même niveau que certains animaux, et parfois des plantes et la forêt; tous doivent être en communion pour vivre. Davi Kopewana, chamane yanomami, exprime cette idée : « Ne pensez pas que la forêt soit morte, posée là sans raison. Si elle était inerte, nous ne bougerions pas non plus. C’est elle qui nous anime. Elle est vivante. On ne l’entend pas se plaindre, mais la forêt souffre, tout comme les humains[iii]. » Le ton de l’image est orangé, rosé, il est celui d’une nouvelle journée qui commence.

Claudia Andujar, Extase, série Sonhos Yanomami [Rêves Yanomami], 1974 (2015). 100 x 100 cm.
© Claudia Andujar, Collection du MEG – Musée d’ethnographie de Genève

La deuxième photographie dans le fond à gauche de la pièce s’intitule Extase (1974 (2015)). Les points de repère habituels sont inversés dans cette œuvre : la ligne d’horizon, qui aurait dû se trouver à l’horizontale, coupe le plan à la verticale. Le Yanomami est étendu de gauche à droite à travers ce grand paysage, le visage aux yeux clos se trouvant au sol, le bras allongé dépassant le cadre. Ses jambes se perdent dans le point lumineux du ciel à droite. Cette représentation chamboulée pourrait représenter la vision tanguée d’un chamane qui aurait ingéré une substance hallucinatoire pour traverser la frontière humaine. Le ton froid et les points blancs parsemés ça et là ajoutent un caractère céleste à l’image.

Gisela Motta et Leandro Lima
Gisela Motta et Leandro Lima sont tous les deux nés en 1976, et ont été ensemble à la Fundação Armando Alvares Penteado (FAAP), une université à São Paulo, au Brésil, de 1996 à 1999[iv]. Depuis ce temps, ils travaillent ensemble. Leur installation vidéo se trouve au fond à gauche de la pièce. Cette grande œuvre, Amoahiki. Les arbres du chant chamanique yanomami (2008), a été pensée après une visite du duo du village yanomami de Watoriki. Elle projette, sur une toile constituée de plusieurs couches de tissu, des images en mouvance de la forêt, et parfois de groupes d’Autochtones y émergeant. Vous pouvez écouter la trame sonore de cette installation et voir celle-ci en mouvement ici. Elle rappelle la faune diversifiée de la forêt et ses esprits chamaniques.

Gisela Motta et Leandro Lima, Amoahiki. Les arbres du chant chamanique yanomami, Brésil, 2008, installation vidéo, 8 pi HD, en boucle, bande sonore, multiples couches de tissu
© Centro Cultural Banco do Brasil (CCBB), à l’exposition Sopro, mai 2012, Rio de Janeiro, Brésil

Les photographies de Claudia Andujar, dans l’exposition, mettent en avant-plan les Yanomami en les mêlant à la nature. On voit davantage que la cime des arbres dans Forêt amazonienne, Para et le firmament étoilé dans Extase, on voit plus que la représentation physique, on ressent leur sentiments, et la cause que Claudia Andujar défend : les droits des Yanomami d’habiter leur terre et d’y rester. L’installation de Gisela Motta et Leandro Lima, très grande, donne également à rêver. Les couches de tissus semblent flotter dans un faible vent et la trame sonore relâche le souffle des chamanes dans la pièce; les images mouvantes laissent croire également qu’ils vont apparaître hors de l’œuvre. Cette installation vidéo nous fait imager la mentalité terre-à-terre et spirituelle des peuples de l’Amazonie. Le Musée Pointe-à-Callière présente cette exposition jusqu’au 22 octobre; hâtez-vous pour vous y plonger avec effervescence. L’atmosphère intimiste, de son éclairage sombre et sa musique envoûtante et changeante, les cartels affichant par-ci, par là de l’information, tous les objets tirés du quotidien de ses peuples; tout cela ne représente qu’une infime partie de leur existence. Ils regorgent d’une richesse culturelle, naturelle et authentique. Voilà qu’après avoir visité l’exposition, on ne peut qu’avoir une vue de biais de leur paysage — la forêt ancestrale et l’Amazone — et une connaissance minime d’eux.

Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt
Jusqu’au 22 octobre 2017
Musée Pointe-à-Callière
350, place Royale
Métro Place-d’Armes
Lundi au vendredi : 10 h à 18 h, samedi et dimanche : 11 h à 18 h

En bannière : Rituel mérèrémeit, cérémonie de l’imposition des noms, 2013, Brésil
© Aurélien Fontanet, Collection du MEG – Musée d’ethnographie de Genève


[i]« La découverte d’importants gisements de minerais motiva alors la construction de la première route la reliant [une région de l’Amazonie brésilienne] au reste du pays. C’est par cette route qu’arrivèrent durant les années 1970 des centaines de milliers de migrants dans le contexte d’ambitieux programmes de colonisation agricole. […] Malgré leur résistance tenace [aux Autochtones], ceux-ci furent forcés à céder la plupart de leurs territoires traditionnels. […] Un projet de développement intégré – le Polonoroeste – vit ainsi le jour au début des années 1980[,] mais, encore une fois, les autochtones n’y avaient pas véritablement de place. »
Gilio Brunelli, « Amazonie : Le développement contre les Indiens », Thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 1998, p.V
[ii]Roland Quilici, Photophiles, 3 décembre 2010. En ligne. < http://www.photophiles.com/index.php/biographies/1607-claudia-andujar >. Consulté le 1er septembre 2017.
[iii]Paroles de Davi Kopenawa, chef chamane de la communauté d’Amérindiens Yanomami de la forêt amazonienne du Brésil (2003).
[iv]OBORO, Oboro. En ligne. < http://www.oboro.net/fr/individus/leandro-lima-gisela-motta >. Consulté le 4 septembre 2017.

 

MAGALIE LAPOINTE-LIBIER

Magalie est mue par une curiosité qui la pousse à toujours vouloir apprendre davantage. Les cours qu’elle a suivis à l’Université du Québec à Montréal provenaient de domaines divers : l’histoire de l’art, l’Histoire, la littérature, la linguistique. Ce parcours peut lui sembler restreint, sa passion de vouloir étendre ses horizons étant infinie. L’intérêt qu’elle porte pour la révision-correction lui permet d’apprécier les recherches faites dans toutes les disciplines, tout en restant dans sa spécialité : le français écrit. Elle a complété une concentration en linguistique appliquée à l’étude de la grammaire durant le cheminement de son baccalauréat en études littéraires à l’UQAM. Depuis février 2017, Magalie s’implique auprès d’Ex_situ en tant que correctrice au sein de l’équipe d’édition web. Cette collaboration lui permet de se replonger dans un de ses domaines préférés, l’art, dont l’influence est omniprésente à Montréal.

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