L’OFFRE : DHC/ART, la fondation pour l’art contemporain, célèbre son dixième anniversaire

Par Charlie Carroll-Beauchamp

Afin de souligner son 10e anniversaire d’existence, la fondation pour l’art contemporain DHC/ART présente, du 5 octobre au 11 mars 2018, l’exposition collective L’OFFRE. C’est à travers les œuvres de 9 artistes internationaux (Sonny Assu, Phil Collins, Dora García, Simryn Gill, Felix Gonzalez-Torres, Emily Jacir, Sergej Jensen, Mike Kelley et Lee Mingwei) que le thème du don est décortiqué, ce qui nous pousse à réfléchir sur les notions complexes englobant l’idée même de ce qu’est un cadeau. En effet, dans le contexte d’un système capitaliste où la valeur de ce qui est offert s’effectue davantage d’un point de vue monétaire, quelle est la réelle définition d’un cadeau ? Se doit-il d’être matériel ou peut-il s’offrir sous une autre forme ? De plus, la valeur d’un cadeau peut-elle réellement se mesurer de manière objective, ou relève-t-elle plutôt d’un échange émotionnel, symbolique et intime entre la personne qui offre et celle qui reçoit ? Après tout, n’avons-nous pas coutume de réitérer que « ce n’est que l’intention qui compte » ? Bien que l’on puisse éprouver une certaine pression ou un malaise de redonner à son tour, lorsqu’on offre un cadeau, ne devrait-on pas plutôt donner sans avoir à se poser toutes ces questions? C’est donc dans un esprit de joie et d’altruisme propre au don que DHC/ART nous offre cette exposition, où l’œuvre d’art est bien plus qu’un cadeau matériel offert au spectateur, elle sert aussi de piste de réflexion quant aux notions relatives au don lui-même.

C’est en repensant à l’ouverture officielle de DHC/ART, en octobre 2007, et à ses dix dernières années passées à la fondation, que la commissaire Cheryl Sim développa cette exposition spéciale sous le thème de l’offre. Pour Sim, l’ensemble des diverses expositions que la fondation a présentées au fil des ans n’est ni moins qu’un immense cadeau en soi. La structure de L’OFFRE s’inspire du livre de Lewis Hyde, intitulé The Gift : Creativity and the Artist in the Modern World, de 1983. Cet ouvrage tente de formuler une théorie sur l’essence du don et ses différentes avenues possibles. En effet, à travers l’exposition, on souhaite mettre l’emphase sur le cycle produit par le don, qui doit être offert, reçu puis transmis. Cette mouvance produite par l’addition de relations significatives dans le principe même de l’échange est au cœur des préoccupations de L’OFFRE, qui s’intéresse au cadeau, tant dans sa forme symbolique que physique.

L’un des exemples les plus évocateurs de la puissance de l’immatérialité du don est sans doute l’installation participative Sonic Blossom (2013 – en cours), de l’artiste Lee Mingwei. Pour cette œuvre, l’artiste s’est inspiré d’un évènement où, étant en convalescence après une opération, sa mère écoutait des lieder de Franz Schubert pour s’apaiser. Puisqu’elle souhaitait offrir à son tour un moment de réconfort et de bien-être, l’artiste crée Sonic Blossom, qui se présente ici sous la forme d’une performance, où un chanteur se promène dans la salle d’exposition et choisit un visiteur à qui il offre le cadeau d’une chanson. Chanter pour autrui vient ainsi exposer la symbolique du don de soi dans sa forme la plus simple et la plus puissante.

En plus de l’œuvre de l’artiste Sonny Assu, Silenced : The Burning (2011), et de celle issue du projet Pearls (1999 – en cours), de Simryn Gill, on retrouve au 1er étage de l’exposition une autre œuvre de Mingwei, intitulée Money for Art (1994 – 2010). L’artiste présente de petites sculptures-origamis composées de cinq épreuves cibrachromes, qu’il fabriqua à partir de billets de 10$. Il fit un marché avec des inconnus : en échange de leurs coordonnées, il leur offrit ses sculptures-origamis, pour suivre le parcours de chacune des sculptures. Il su ainsi si les personnes avaient donné, échangé, gardé, ou encore, égaré le cadeau fait par l’artiste. Voilà donc un procédé où la valeur monétaire du cadeau, soit un billet de 10$, n’est qu’un objet modifié par l’artiste en œuvre d’art, lui permettant ainsi d’échanger avec autrui sur la circulation des biens offerts, la valeur de l’argent et de l’objet d’art. L’échange de cadeaux permet de créer un lien entre les individus, tandis que le cadeau lui-même, ou encore ce qu’il représente, continue de circuler librement.

Lee Mingwei, série photographique Money for Art #1-5, 1994, épreuve cibachrome, 11 x 14 pouces chacun
Crédits : Avec l’aimable permission de l’artiste

On retrouve au deuxième étage, en plus de l’installation vidéo Denied Entry (a concert in Jerusalem) (2003), de l’artiste palestinienne Emily Jacir, l’une des trois œuvres de Felix Gonzalez-Torres qui sont présentées dans le cadre de L’OFFRE. La première, qui est située au rez-de-chaussée, s’intitule « Untitled » (Ischia) (1993). « Untitled » (NRA) (1991) est une œuvre produite sous la forme d’une pile d’affiches imprimées offset où un immense rectangle rouge est présenté sur un fond noir. Offrant ses œuvres comme de véritables sculptures publiques, Torres propose au visiteur de prendre une de ses affiches avec lui tout en sachant qu’en faisant ainsi, celui-ci contribuera à modifier l’œuvre. L’interaction entre la réalisation offerte et le spectateur-receveur est importante dans l’œuvre de Torres : en effet, dans cette œuvre, « Untitled » (Blue Placebo) (1991), présentée au quatrième étage de l’exposition, la participation active du spectateur est aussi de mise. Ce dernier altère l’œuvre en se voyant offrir une partie de celle-ci, le forçant ainsi à se questionner sur l’importance du geste qu’est le don, et sur l’échange entre artiste et spectateur, tous deux ayant leur place considérable dans cette relation qui donne le sens à l’œuvre d’art elle-même. Ici, ce sont 130 kg de friandises emballées individuellement dans du papier cellophane bleu que le visiteur se fait offrir. Ces bonbons font référence à l’effet placebo, problème auquel les patients atteints du sida ont dû faire face en servant de cobayes pour des traitements médicaux. Ayant emporté l’artiste en 1996, le sida est un thème récurrent dans l’œuvre de Torres.

Avec l’aimable permission de Andrea Rosen Gallery, New York
Felix Gonzalez-Torres, « Untitled » (Blue Placebo), 1991
Bonbons emballés individuellement sous papier cellophane bleu, quantité illimitée (les dimensions varient selon l’installation), poids idéal: 130 kg (286 lbs)
Crédits : Photographie de Marc Domage / Tutti à l’exposition Skin Deep, Galerie Jennifer Flay, Paris, 1er avril – 17 mai 1997 et The Felix Gonzalez-Torres Foundation

Au troisième étage est présenté, en plus de l’installation Love, Theft, Gifting and More Love (2009), de Mike Kelley et des quatre tableaux faits de vieux sacs d’argent de Sergej Jensen (Untitled (2016), Blue Horse (2016), Fired Jockey (2016) et White Natural Moneybags (2016)), le projet free fotolab (2009), de l’artiste Phil Collins. Cette œuvre fut créée à partir d’un appel lancé à tous invitant le public à lui envoyer des rouleaux de film de 35 mm non traités. Collins offrait par la suite aux gens de développer les images de ces rouleaux en échange qu’il détiendrait le droit universel sur lesdites images développées. Présenté sous la forme d’un diaporama de quatre-vingts illustrations, free fotolab, qui montre essentiellement des personnes dans leur vie de tous les jours, permet d’établir un discours sur la notion de l’échange et de la collaboration entre l’artiste et le sujet.

Avec l’aimable permission de la Fondation Mike Kelley
Mike Kelley, Love, Theft, Gifting and More Love, 2009
Installation médias mixtes, incluant texte de Kelley, un t-shirt trouvé, des décalques au fer chaud, une photographie encadrée, une reproduction de la couverture du livre Slave Sonnets de Bob Flanagan, dimensions variables
Crédits : Joshua White

C’est dans cet esprit d’échange, de partage et de don que DHC/ART a transformé son sous-sol en salle de lecture où des livres en lien avec L’OFFRE sont disponibles pour les visiteurs. Dans ce même espace, on retrouve Steal this book (2009), de Dora García. Steal this book est un ensemble d’exemplaires d’un livre qui documente onze des projets de performances récentes de l’artiste. Tout comme les œuvres « Untitled » (NRA) et « Untitled » (Blue Placebo), de Felix Gonzalez-Torres, ainsi que Love, Theft, Gifting and more Love, de Mike Kelley, Steal this book se présente comme une sculpture sur laquelle le spectateur peut intervenir, en, comme l’affirme le titre de l’ouvrage, s’appropriant l’un des exemplaires du livre.

C’est en quittant l’exposition que l’on se sent réellement choyé, que ce soit du fait de pouvoir ramener chez soi une partie de quelques œuvres, ou encore de s’être fait offrir une chanson, mais également par la réflexion que les artistes ont pu nous proposer à travers leurs œuvres. La beauté d’une œuvre se trouve parfois dans ce qu’elle donne à voir, tant de manière visible qu’invisible, au sujet qui la regarde. L’exposition célébrant le 10e anniversaire de DHC/ART s’offre à nous, et ce serait bien malheureux de ne pas en profiter ! À voir jusqu’au 11 mars 2018.

L’OFFRE
Jusqu’au 11 mars 2018
DHC/ART Fondation pour l’art contemporain
451, rue Saint-Jean
Métro Place-d’Armes
Métro Square-Victoria-OACI
Mercredi au vendredi de 12h à 19h
Samedi et dimanche de 11h à 18h

En bannière : Dora García, Steal This Book, 2009
Crédits : Photographe CGAC, Santiago de Compostela
Collection du Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art Moderne/Centre de création industrielle


 

CHARLIE CARROLL-BEAUCHAMP | RÉDACTRICE WEB

Charlie est titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’art de l’Université de Montréal et présentement candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’UQÀM. À travers ses recherches, elle s’intéresse à l’hégémonie de la vue présente dans les arts visuels, son influence dans l’écriture de l’histoire de l’art, ainsi qu’aux alternatives polysensorielles proposées par certain(e) s artistes contemporains. Son étude de cas porte sur la pratique de l’aveuglement volontaire chez l’artiste québécoise d’art actuel Raphaëlle de Groot. Guide et ambassadrice durant l’édition 2017 du Festival d’art contemporain Art Souterrain, son attrait pour l’éducation l’a pousse à vouloir transmettre sa passion par une approche pédagogique et médiatrice de l’art. Elle affectionne particulièrement le contact avec les gens, ainsi que la possibilité d’échanger et de communiquer sur les diverses pratiques artistiques.

Pour plus d’articles écrits par Charlie Carroll-Beauchamp, cliquez ici.

Publicité