Par Maude Darsigny-Trépanier
Trois projets d’artistes autochtones sont mis en place en même temps que l’exposition à grand déploiement Il était une fois… le western : Une mythologie entre art et cinéma qui est présenté jusqu’au 4 février 2018. Ainsi, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) propose un éventail varié de productions d’artistes qui traitent des sujets identitaires, que ce soit à travers le portrait, l’installation, ou les médiums traditionnels. L’exposition de Nadia Myre, Tout ce qui reste / Scattered Remains (jusqu’au 27 mai 2018), le projet du trio d’artistes composé d’Eruoma Awashish, de Meky Ottawa et Jani Bellefleur-Kaltush, Kushapetshekan / Kosapitcikan / Épier l’autre monde (jusqu’au 4 février), ainsi que le projet Entre-Deux-Mondes de Meryl McMaster (qui se terminait le 3 décembre dernier) font tous trois partie du projet Elles autochtones qui cherche à mettre en valeur les productions d’artistes féminines autochtones.
Il était une fois… le western : Un regard actualisant sur le genre filmographique
D’entrée de jeu, la commissaire Mary-Dailey Desmarais insiste sur l’importance de contextualiser le genre western au cinéma et son impact négatif sur les populations autochtones. Une brève remise en contexte de l’histoire coloniale informe les visiteurs sur le déplacement forcé des nations de l’ouest américain, de la mise en réserves, des maladies, etc. Ceux qui ne s’attendaient qu’à une exposition nostalgique sur l’époque de Clint Eastwood seront déçus. Des œuvres de la collection permanente du MBAM sont exposées et contextualisées. Les portraits peints de Paul Kaine, par exemple, sont présentés comme des produits ethnographiques cherchant à satisfaire la croyance du Vanishing Indian. Un portrait photographique du chef et activiste Sitting Bull, réalisé dans les studios Notman, est également présenté. Par la suite, les extraits vidéos s’enchainent de salles en salles, montrant une vision chronologique de la création du western en passant par les populaires « western spaghetti », en terminant avec la déconstruction du genre avec des extraits du populaire Django Unchained de Quentin Tarantino.
Adrian Stimson, Irrémédiablement perdu, 2010
Techniques mixtes (peaux d’animaux, bois)
Crédit photo : Maude Darsigny-Trépanier
Pour faire suite à divers éléments issus de la culture populaire, certaines œuvres actuelles ont été placées dans l’une des dernières salles. La pièce plus sombre apparait aussi plus calme après les multiples extraits vidéos présentés auparavant. L’installation d’Adrian Stimson, membre de la nation Siksika (Blackfoot), Irrémédiablement Perdu (2010), fait face aux visiteurs lorsqu’ils entrent dans la pièce. Un énorme bison naturalisé se tient au centre d’un cercle de peaux animales. On assiste à une conversation silencieuse entre ces animaux immobiles. Face à l’œuvre de Stimson se trouve quatre photographies qui illustrent les quatre saisons en diorama de l’artiste Wendy Red Star, originaire de la communauté d’Apsáalooke (Crow), dans l’État du Montana. Four Seasons (2006) représente une réappropriation du médium du diorama, autrefois utilisé pour représenter les nations autochtones dans les musées d’histoire naturelle. Au fond de la salle, un tipi géant fait de tissu cossu attend le visiteur. Cette œuvre immense, réalisée par l’artiste cri Kent Monkman, se veut un boudoir pour son alter ego Miss Chief Eagle Testickle. Boudoir de Berdache (2007) évoque bien les qualités humoristiques habituelles du travail de Monkman qui utilise le rire et le malaise pour déconstruire les stéréotypes entourant l’identité autochtone à l’aide de son personnage de Trickster.
Malgré que cette exposition soit extrêmement chargée, les œuvres choisies pour accompagner les extraits de films évoquent bien ce changement de paradigme qui entoure la conception des identités autochtones.
Elles autochtones : La sensibilité de Nadia Myre
Après avoir eu des expositions solos au Musée McCord, à la galerie Art-Mûr, ou encore chez OBORO,l’artiste asnishnabe de Kitigan Zibi, Nadia Myre, se voit accueillie au MBAM. Cette exposition rétrospective montre entre autres les variations autour de l’art du perlage pratiqué par l’artiste dès le début des années 2000 avec l’Indian Act Project (2000-2003) jusqu’à sa toute dernière série de tondo pour Code Switching (2017).
Nadia Myre, Indian Act Project / La loi sur les Indiens (détail), 2000-2003
(perles de verre, fil, papier, feutre)
Crédit photo : Maude Darsigny-Trépanier
L’exposition intimiste propose un aperçu de la complexité du travail de l’artiste. S’interrogeant sur l’identité depuis le début de sa carrière, Myre soulève des questionnements importants tout en proposant des œuvres esthétiquement douces qui apaisent le regard. Ce n’est que lorsque l’on comprend l’ampleur du processus créatif qu’un projet tel qu’Oraisons (impression et installation) (2014) prend un tout autre sens. Réalisé à la suite du Scar Project (2005-2013), où l’artiste demandait aux visiteurs de représenter leurs cicatrices physiques ou psychiques sur de petits canevas, Oraison invite le regardeur à réfléchir sur les traces indélébiles que laissent sur nous certains évènements. La série d’impressions numériques sont en fait l’envers des pages perlées du Indian Act Project, que l’artiste a numérisée puis agrandie. Devant se trouve une installation constituée d’un filet rouge retenu au sol par des pierres grises. Ce filet monte et descend doucement, ne laissant entendre qu’un faible son mécanique. À côté se trouve un panier tressé de taille surdimensionné remplit de tabac, qui répand son odeur caractéristique dans la salle. Le choix du tabac n’est pas anodin : traditionnellement, celui-ci a une importance significative lorsqu’utilisé tel un don (ou offrande). Placé au-devant de l’Indian Act Project, ce panier de tabac revêt une symbolique de deuil, d’offrande, de guérison.
Elles autochtones : L’empowerment du rituel
L’œuvre du trio d’artistes composé des Atikamekw Eruoma Awashish et Meky Ottawa, ainsi que de l’Innue Jani Bellefleur-Kaltush avait d’abord été présentée sous forme de maquette plus tôt cette année dans le cadre du laboratoire créatif DÉRANGER qui s’était tenu à OBORO. L’installation prend maintenant place dans une des salles réservées à l’art contemporain au MBAM. Exposée auprès de grands noms de l’art contemporain, notamment tout près des récentes acquisitions de Monkman qu’a fait le musée, l’installation Kushapetshekan / Kosapitcikan / Épier l’autre monde est à sa place. Une structure circulaire faite de bois et de toile permet au visiteur de se faufiler dans l’espace rond. Le son du tambour, des chants et la respiration d’une femme résonnent jusque dans le plancher. Des images sont projetées autour du regardeur, sur la toile noire qui l’entoure : l’expérience immersive est totale.
Le titre, à la fois en innu et en atikamekw, réfère à un rituel sacré traditionnellement réservé aux hommes, qui était organisé par ces deux nations. Avec la mise en place de la Loi sur les Indiens, certains rituels, dont celui-ci, ont été interdits au Canada. La réappropriation du Kushapetshekan ou Kosapitcikan par ce trio de femmes montre, entre autres, l’attachement des jeunes générations autochtones au traditionalisme et le fort désir de garder ces rituels vivants et présents.
Elles autochtones : L’univers onirique de Meryl McMaster
Le travail photographique de l’artiste cri des plaines et euro-canadienne Meryl McMaster évoque un univers éclaté et fantasmé, où elle performe son identité. Prenant place à l’extérieur, les séances photos de l’artiste la mettent en scène dans des costumes, chapeaux et maquillages éclatés et colorés. Avec ces autoportraits, McMaster cherche à rallier ses deux identités originelles, soit celles de l’oppresseur et de l’opprimé synchroniquement. C’est à travers ces compositions éclatées et envoutantes qu’elle parvient à créer un univers serein et apaisant.
Vue de exposition Entre deux mondes, Meryl McMatser, 2017
(De gauche à droite: Aphoristic currents (2013), Terra Cognitum (2013) et Wingeds Calling (2012)
Crédit photo : Maude Darsigny-Trépanier
Il était une fois… le western Une mythologie entre art et cinéma
Jusqu’au 4 février 2018
Nadia Myre, Tout ce qui reste / Scattered Remains
Jusqu’au 27 mai 2018
Kushapetshekan / Kosapitcikan : Épier l’autre monde
Jusqu’au 4 février 2018
Merryl McMaster, Entre Deux Mondes
Terminée
Musée des Beaux-Arts de Montréal
1380, rue Sherbrooke Ouest
Pavillon Jean-Noël Desmarais
Métro Guy Concordia ou Peel
Mardi au dimanche de 10h à 17h et le mercredi de 10h à 21h
En bannière : Vue d’ensemble de l’exposition Tout ce qui reste / Scattered Remains (2017), Série Oraison (impression numériques 44 x 33 pouces), Nadia Myre, 2014
Crédit photo : Maude Darsigny-Trépanier
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MAUDE DARSIGNY-TRÉPANIER | RÉDACTRICE WEB Maude a obtenu un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM et y poursuit sa scolarisation au deuxième cycle. Actuellement, elle est en période de rédaction pour son projet de maîtrise qui porte sur la réappropriation comme geste politique dans l’œuvre de Nadia Myre. Maude cultive un grand intérêt pour les pratiques artistiques politiques et engagées. Son coup de cœur pour les pratiques d’artistes autochtones est né à la vue de l’œuvre Fringe de Rebecca Belmore lors d’un cours universitaire. Employée de l’UQAM depuis 2017, elle travaille comme assistante de recherche auprès de Dominic Hardy. Elle est également bénévole depuis 2 ans à la Foire du papier et se joint à l’équipe de la revue Ex_situ à titre de rédactrice web à l’hiver 2017. Pour plus d’articles écrits par Maude Darsigny-Trépanier, cliquez ici. |