Indice éternité II

Par Jean-Michel Quirion

Durant la dernière année, j’ai visité plus d’une centaine d’expositions, çà et là, ici comme ailleurs. De cette pluralité, une exposition m’a plus particulièrement happée, et submergée de surcroit : Indice éternité II. Les propositions dystopiques, chimériques et oniriques à la fois, de Dominique Sirois, en dialogue avec celles de Simon Belleau et Luc Paradis, m’ont déstabilisé, de même que déshumanisé, à certains moments. Les œuvres, tant oppressantes qu’enivrantes, sont évocatrices de trois imaginaires ainsi unifiés.

En juin dernier, l’artiste montréalaise Dominique Sirois entamait Living Gallery, un récent programme de résidence initié par la Galerie d’Orléans de l’École d’Art d’Ottawa, située au Centre des Arts Shenkman en Ontario. Le programme en question, convie des praticiens à réfléchir et interagir à même l’espace de la galerie, le temps de l’élaboration et de la production publiques d’un projet, culminé par sa diffusion.

Pour Indice éternité II, Sirois transpose sa série Mimesis Trinity — idée fataliste, mais fictive d’une société capitaliste spécialisée en finance comportementale qui offre les services d’une vie prolongée au moyen de technologies transhumanistes —, d’emblée exhibée à l’automne 2016 à la Galerie B-312 de Montréal pour le premier déploiement d’Indice éternité, à Ottawa. Reconstitution partielle, elle réitère et altère quelques éléments propres à son iconographie symbolique. Bien qu’elle y retire toutes traces technologiques — informatiques ou numériques —, l’idéologie généralisée de la vie immuable, pour quelconque être avare obsédé d’économie, est exacerbée de nouvelles propositions qui heurtent virulemment les visiteurs, par leurs matérialités annonciatrices d’une éventuelle cessation.

Vues partielles des œuvres de Dominique Sirois. Avec l’aimable permission de l’artiste. Crédit : Dominque Sirois

Dans l’espace attentivement ausculté par l’artiste durant près de deux semaines, une narration critique sur cette société irréelle s’instaure par une travée d’objets énigmatiques. Dès l’entrée, à même le sol, un corps biomorphique d’un rose mastic à l’allure quasi moléculaire est démantelé en bribes et disposé sur un mince panneau de verre, à l’encontre d’une table comme présentoir à la B-312. Les formes inertes, somatiques et anatomiques, réfèrent directement à cette spéculation — aspiration — transhumaniste. À proximité, une bâche noire cuirassée et tramée çà et là d’innombrables déchirures est suspendue à des buses métalliques par une douzaine de cordes. Malgré la gravité, la pièce suggère une enveloppe qui sert à emballer ou dissimuler un corps mort. L’œuvre complexifie cette notion de corporalité et de temporalité sans fin.

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Vue partielle des œuvres de Dominique Sirois. Avec l’aimable permission de l’artiste. Crédit : Dominque Sirois

Se retrouvent alors en parallèle deux œuvres aux dialogues communs. D’une part, en une discussion formelle, The Egg (2016), un acrylique sur toile de l’artiste Luc Paradis. Sur l’œuvre bidimensionnelle, un personnage hybride aux couleurs rassérénantes — pastel — est en corrélation directe avec celui tridimensionnel de Sirois. Les corps semblent indéniablement résulter d’une transposition formelle entre la sculpture et la peinture. D’autre part, en une conversation conceptuelle, une parcelle de l’installation SOIF (2016) de Simon Belleau, un sac anti-inondation bordé de deux verres qui évoquent de ténus espaces hermétiques dans lesquels logent quelques insectes inanimés. L’œuvre réfère à une soif psychologique par l’absence de liquide et le vide. Non loin, une vitrine disposée sur un socle présente — préserve — des objets qui empruntent ici le statut d’artéfact, suivi de pôles soutenant des imitations de téguments d’un jaune ocre.

Vues partielles de SOIF (2016) de Simon Belleau et l’œuvre The Egg (2016) de Luc Paradis. Avec l’aimable permission de l’artiste. Crédit : Dominque Sirois

Succédant aux suspensions, se retrouve une cloison centrale derrière laquelle s’escamote une chose ressemblant à une chaussure archaïque. Celle-ci n’est accessible que par la droite, à qui n’ose pas enjamber la pièce filiforme qui obstrue la gauche. Par ailleurs, quelques menus symboles de porcelaines émaillées sont dispersés en alternance aux murs de la galerie, reliant subtilement l’ensemble de l’installation.

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Vue partielle des œuvres de Dominique Sirois en dialogue avec SOIF (2016) de Simon Belleau. Avec l’aimable permission de l’artiste. Crédit : Dominque Sirois

Exposition d’une exposition, reprises et récentes pièces incisives de Mimesis Trinity, Indice éternité II de Dominique Sirois, ainsi que les associations conceptuelles et formelles de Simon Belleau et Luc Paradis, connotent avec l’utopie paradoxale de cette perversion capitaliste d’une vie incessante, toutefois insensée, de laquelle maintes réflexions émanent.

Vraisemblablement, il s’agit là de l’une des expositions les plus marquantes de 2017.

Indice éternité II
Du 29 juin au 29 juillet 2017
Galerie d’Orléans de l’École d’Art d’Ottawa
245 Centrum Blvd. Orleans, Ontario

En bannière : Vue partielle des œuvres de Dominique Sirois en dialogue avec SOIF (2016) de Simon Belleau et l’œuvre The Egg (2016) de Luc Paradis. Avec l’aimable permission de l’artiste. Crédit : Dominque Sirois


JEAN-MICHEL QUIRION | RÉDACTEUR WEB

Jean-Michel Quirion est candidat à la maîtrise en muséologie à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Son projet de recherche porte sur l’élaboration d’une typologie de procédés de diffusion d’œuvres performatives muséalisées. Une résidence de recherche à même les archives du MoMA émane de cette analyse. Il travaille actuellement à la Galerie UQO à titre d’assistant à la direction et au Centre d’artistes AXENÉO7 en tant que coordonnateur des communications. Il s’implique également au Centre de production DAÏMÔN. Du côté de Montréal, il écrit pour la revue Ex_situ, puis il s’investit au sein du groupe de recherche et réflexion : Collections et Impératif événementiel The Convulsive collections (CIÉCO).

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