Par Maude Darsigny-Trépanier
Le Montréalais d’origine mexicaine Rafael Lozano-Hemmer expose son travail d’envergure pour une des rares fois dans la métropole. Reconnu à l’international, notamment pour avoir représenté le Mexique à la célèbre Biennale de Venise, Lozanno-Hemmer propose une esthétisation des dispositifs technologiques et offre un art qui dépend de la participation, ou du moins, de la présence du public. Les œuvres sélectionnées pour Présence Instable proposent un aperçu de la pratique complexe de l’artiste qui oscille entre le commentaire social et l’esthétique d’un futur dystopique.
La déconstruction du dispositif de surveillance
Après l’exposition poignante de l’artiste mexicaine Theresa Margoles qui faisait état de la situation sociopolitique et du nombre élevé de meurtres et de disparitions que vit le Mexique depuis une vingtaine d’années, le commentaire de Lozanno-Hemmer s’inscrit dans la même ligné. L’œuvre Level of Confidence (2015), présentée dans la toute petite pièce à l’entrée au bas de l’escalier, permet d’expérimenter l’œuvre interactive et commémorative. 43 photographies en noir et blanc sont projetées sur le mur du fond. Une fois devant l’œuvre, le regardeur active le dispositif de reconnaissance faciale et le logiciel répertorie la meilleure paire (matchs) avec l’une des photographies. Ludique au premier abord l’œuvre prend tout son sens politique et commémoratif lorsque l’on prend conscience que ces 43 images représentent les étudiants disparus de l’école Ayotzinapa au Mexique. En 2014, le groupe se rendait à Iguala en autobus pour prendre part à une manifestation contre le gouvernement mexicain au pouvoir puis, à la suite d’une intervention policière chaotique, qualifiée de « nuit de la terreur » par plusieurs médias, aucune trace d’eux n’a été retrouvée. Les matchs toujours imparfaits rappellent la funeste disparition de ces jeunes étudiants. L’ironie de favoriser un dispositif de reconnaissance faciale utilisé par les policiers et les structures étatiques, pour dénoncer cette violence policière que l’on présume responsable de l’assassinat des 43 étudiants, offre un second degré de lecture à l’œuvre Level of Confidence.
Rafael Lozano-Hemmer, Level of Confidence, 2015.
Écran, webcaméra, ordinateur, algorithmes de reconnaissance faciale, logiciel
sur mesure
Avec l’aimable permission de l’artiste et de la galerie bitforms
© Rafael Lozano-Hemmer / SODRAC, Montréal / VEGAP, Madrid (2018)
Photo : Guy L’Heureux
Le dispositif comme outil de communication
De manière à déconstruire les codes traditionnels de la réception contemplative de l’œuvre, Lozano-Hemmer crée et programme plusieurs œuvres qui cherchent à renverser l’attitude passive du regardeur. L’œuvre Pulse Spiral (2008) qui prend place dans la rotonde du MAC en est un exemple. Plus d’une centaine d’ampoules sont suspendues à des fils formant une structure conique. Une fois que la pulsation cardiaque de la personne au centre est captée par le détecteur prévu à cet effet, la structure lumineuse s’allume et s’éteint aux rythmes des battements cardiaques. L’œuvre Subtitled Public (2005) dépend quant à elle de l’interaction entre les personnes présentes dans la salle. En entrant dans la pièce obscure, un dispositif de détection de mouvement attribue un verbe conjugué à chaque personne. Ces « sous-titres » peuvent être échangés entre deux personnes uniquement lorsque ceux-ci se placent côte à côte durant quelques secondes. Pour expérimenter l’œuvre à son plein potentiel, Lozano-Hemmer invite les participant.es à créer des contacts entre eux.elles.
Rafael Lozano-Hemmer, Pulse Spiral, 2008.
300 ampoules incandescentes, capteur de fréquence cardiaque, contrôleurs
de voltage, ordinateur, composantes électroniques et logiciel sur mesure
Avec l’aimable permission de l’artiste et de la galerie bitforms
© Rafael Lozano-Hemmer / SODRAC, Montréal / VEGAP, Madrid (2018)
Photo : Guy L’Heureux
La pièce maitresse de l’exposition est certainement Vicious Circular Breathing (2013). L’installation monumentale placée au centre d’une grande salle produit du son grâce à de l’air soufflé par des tuyaux de plastiques vers de petits sacs de papier bruns. Le son saccadé imite le rythme de la respiration humaine. À l’autre bout se trouve une petite pièce vitrée dotée d’un sas et de deux chaises. Les visiteurs sont invités à pénétrer dans cette boîte de verre pour partager leur respiration avec celle des autres passés avant eux. Le système circulaire fermé fait en sorte que l’air s’y trouvant est recyclé depuis le début de l’exposition, ce qui permet symboliquement de partager une expérience commune de manière intemporelle. Une série de pompes et de tuyaux fonctionne mécaniquement, un peu à la manière d’un orgue en poussant l’air provenant de la petite pièce vitrée vers les sacs de papier, ce qui produit des sons sourds. Un avertissement de risque d’asphyxie, de contagion et de crise de panique est posé à l’entrée de l’installation.
Rafael Lozano-Hemmer, Vicious Circular Breathing, 2013.
Cabine en verre, soufflets, tubes, 61 sacs en papier brun, collecteur de
soupapes
Avec l’aimable permission de Borusan Contemporary, Istanbul
© Rafael Lozano-Hemmer / SODRAC, Montréal / VEGAP, Madrid (2018)
Photo : Guy L’Heureux
Présence Instable propose une approche plus sensible du dispositif de surveillance que ce qu’on a l’habitude de voir. Sans en évacuer complètement l’aspect politisé comme il le fait dans des œuvres tel Airborn Projection (2015) ou encore Voz Alta (2008), où ce dispositif devient un outil politique, Lozano-Hemmer propose des œuvres relationnelles qui permettent une prise de contact, parfois directe d’autres fois hors du temps donné, entre les visiteurs.
Présence Instable
Jusqu’au 9 septembre 2018
Musée d’art contemporain de Montréal
185, rue Sainte-Catherine Ouest
Métro Place des arts
Mardi de 11h à 18h
Mercredi, jeudi et vendredi de 11h à 21h
Samedi et dimanche de 10h à 18h
En bannière : Rafael Lozano-Hemmer, Pulse Spiral, 2008.
300 ampoules incandescentes, capteur de fréquence cardiaque, contrôleurs
de voltage, ordinateur, composantes électroniques et logiciel sur mesure
Avec l’aimable permission de l’artiste et de la galerie bitforms
© Rafael Lozano-Hemmer / SODRAC, Montréal / VEGAP, Madrid (2018)
Crédits : François Maisonneuve
MAUDE DARSIGNY-TREPANIER | RESPONSABLE DE LA RÉDACTION WEB ET GESTIONNAIRE DES MÉDIAS SOCIAUX Maude a obtenu un baccalauréat en histoire de l’art à l’UQAM et y poursuit sa scolarisation au deuxième cycle. Actuellement, elle est en période de rédaction pour son projet de maîtrise qui porte sur la réappropriation comme geste politique dans l’œuvre de Nadia Myre. Maude cultive un grand intérêt pour les pratiques artistiques politiques et engagées. Son coup de cœur pour les pratiques d’artistes autochtones est né à la vue de l’œuvre Fringe de Rebecca Belmore lors d’un cours universitaire. Employée de l’UQAM depuis 2017, elle travaille comme assistante de recherche auprès de Dominic Hardy. Elle est également bénévole depuis 2 ans à la Foire du papier et se joint à l’équipe de la revue Ex_situ à titre de rédactrice web à l’hiver 2017. Pour plus d’articles écrits par Maude Darsigny-Trepanier, cliquez ici. |