Regard contemporain sur la collection des cultures du monde du MBAM

Par Camille Richard

À l’ère du redéploiement des collections permanentes et des théories postcoloniales en histoire de l’art, le Musée des Beaux-arts de Montréal présente Connexions. Laura Vigo, commissaire et conservatrice de l’art asiatique au MBAM, a invité sept artistes canadiens contemporains, issus de différentes origines culturelles, à s’inspirer d’œuvres de la collection afin de réaliser de nouvelles interprétations. Misant sur l’hybridité des cultures dans sa dimension positive, l’exposition revoit la manière dont la collection des cultures du monde a pris forme.[i]

Les premières œuvres rencontrées témoignent de l’utilisation de nouvelles technologiques en art contemporain. Effets Personnels, réalisée par Maria Ezcurra, en collaboration avec l’historienne de l’art Nuria Carton de Grammont, est une installation interactive où chaque objet est lié au récit d’un immigrant de la communauté latino-américaine et caribéenne. Démontrant que la valeur associée à un objet ne réside pas toujours dans sa matérialité, mais parfois dans sa subjectivité.[ii] Lost in display de Brendan Fernandes est un projet de réalité virtuelle. Au sein de l’animation, l’artiste renoue avec la fonction originelle de trois masques africains, portés lors de cérémonies et de rituels. Fernandes, par le biais de la danse, réinterprète l’identité de ces objets en s’inspirant autant de mouvements traditionnels que du ballet classique.[iii]

Marie Ezcurra (1973) et Nuria Carton de Grammont (1978), Effets personnels, 2017-2018, Installation interactive, Collection du Musée des Beaux-arts de Montréal.
Crédit Photo : Camille Richard

Brendan Fernandes (1979), Lost in Display, 2017-2018, Projection de réalité virtuelle, Collection du Musée des Beaux-arts de Montréal
Crédit Photo : Camille Richard

Au détour de la troisième section de l’exposition, une majeure partie de l’espace est dédiée à l’art de la porcelaine avec les artistes Karen Tam, Hua Jin et Pavitra Wickramasinghe. Chacune à leur façon, les artistes abordent la mutation des objets artisanaux dans le commerce mondial – nourrit depuis ses débuts par des collectionneurs ayant un goût marqué pour l’exotisme – et la perte de la valeur artistique de certains savoir-faire.[iv]

Pavitra Wikramasinghe, Ile flottante, 2017-2018
Porcelaine et plastique imprimées en 3D, céramique émaillée, tables tournantes, écran
Collection du Musée des Beaux-arts de Montréal
Crédit photo : Camille Richard

L’exposition se conclue avec la notion de communauté qui traverse les œuvres du Z’otz* et de Arwa Abouon. Le collectif Z’otz* (composé de Nahúm Flores, Erik Jerezano et Ilyana Martínez) présente des œuvres en terre cuite que les artistes sont venus modeler à tour de rôle, tel un cadavre exquis. Les sculptures dégagent une liberté de composition entre formes animales et humaines qui fonctionne comme un tout par l’esthétique naïve. À proximité, l’œuvre Ustadha (Professeure) de Abouon se penche sur la figure de la femme et de la famille. Elle présente au sein d’un triptyque photographique des mises en scène intimes de transmission de savoir et de connaissances dans la culture islamique. [v]

Z’otz* Collective (Nahúm Flores (né en 1974), Erik Jerezano (né en 1973) et Ilyana Martínez (née en 1967)), Distances symboliques, 2017-2018, Terre cuite modelée et incisée, sisal, Collection du Musée des Beaux-arts de Montréal.
Crédit Photo : Camille Richard

Malgré l’intention des œuvres réunies dans l’exposition, la mise en espace semble plus près de ce que nous pourrions associer à un musée d’histoire. Dû entre autres à l’utilisation marquée de vitrines, d’accents lumineux dramatiques et d’écriteaux sur les murs qui confine l’identité de l’artiste à ses origines culturelles. Ces codes muséologiques donnent une perception davantage ethnologique qu’artistique aux œuvres.[vi] Ce qui a comme effet de les lier à un passé distant plutôt qu’à un héritage vivant. En d’autres termes, la scénographie est en contradiction avec les œuvres contemporaines qui tentent de valoriser la collection, or elles sont présentées de manière analogue aux œuvres historiques. Les échanges escomptés entre les objets traditionnels et les œuvres actuels sont à réfléchir pour créer un discours unifié plutôt que deux façons de faire qui se confrontent. Cependant, il faut souligner l’initiative du projet de collaboration entre ces artistes contemporains canadiens et le MBAM qui vise à revoir les narrations historiques. En plus, Connexions annonce l’approche dite inclusive de la nouvelle Aile des cultures du monde et du vivre ensemble, prévue en juin 2019. Il sera intéressant de constater les dialogues qui y seront produits et sous quelles formes commissariales.

Connexions

Jusqu’au 16 juin 2019
Musée des beaux-arts de Montréal
1380, rue Sherbrooke O
Métro Guy-Concordia
Métro Peel
Lundi et mardi de 10h à 17h
Mercredi de 10h à 21h
Jeudi à dimanche de 10h à 17h

En bannière : Karen Tam (1977), Imitation des insectes de Castiglione, 2014-2017, Paillettes, épingles en acier, polystyrène, laine, Collection du Musée des beaux-arts de Montréal.
Crédit Photo : Denis Farley


[i]Communiqué de presse, Musée des Beaux-arts de Montréal, La nouvelle aile des cultures du monde et du vivre-ensemble, Montréal, 10 mai 2018, En ligne.
[ii]Cartel d’exposition, Connexions, jusqu’au 16 juin 2019, Laura Vigo, commissaire et conservatrice de l’art asiatique, MBAM, en collaboration avec Erell Hubert, conservatrice de l’art précolombien, MBAM, et Geneviève Goyer-Ouimette, conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain (1945 à aujourd’hui), MBAM, titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarislowsky.
[iii]Ibid.
[iv]Ibid.
[v]Ibid.
[vi]Voir BERLO, Janet C. Et al.,« The Problematics of Collecting and Display, Part 1 », The Art Bulletin, Vol. 77, No. 1 (mars 1995), p. 6-23.

 

CAMILLE RICHARD | RÉDACTRICE WEB

Camille Richard est candidate à la maitrise en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal. À travers ses recherches elle s’intéresse à un corpus de démarches artistiques conceptuelles, féministes, queer ou postcoloniales qui redéfinissent les notions traditionnelles des espaces d’exposition. Son mémoire porte sur les relations d’influence entre des pratiques artistiques contemporaines, l’architecture muséale et les fonctions institutionnelles. Elle a récemment agit à titre de commissaire pour l’exposition Refus contraire à la Galerie de l’UQAM. En 2019, elle poursuivra ses activités en tant que co-coordinatrice pour la série de conférences Hypothèses et comme assistante de recherche pour le groupe de recherche Joan Jonas Knowledge Base en collaboration avec le NYU.

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