Par Charline Giroud
Jusqu’au 8 juillet 2021
Centre d’exposition de l’Université de Montréal
Exposition virtuelle accessible en ligne
Commissariat de Catherine Barnabé
L’exposition Cadrer la nature met en regard quatre œuvres d’art classique, choisies parmi la collection de l’Université de Montréal, avec quatre œuvres d’art numérique, créées spécialement pour l’exposition et réalisées in situ dans le parc du Mont-Royal. Huit artistes sont ainsi mises à l’honneur : Janick Burn, Maude Connolly, Ariane Plante, Jeanne Rhéaume, Ingrid Tremblay, Jennifer Dickson, Hannah Claus et Andrée de Groot.
La commissaire, Catherine Barnabé, a ainsi choisi de confronter différents médiums et de faire dialoguer, sur le thème de la nature et du paysage, des artistes d’origines et d’époques diverses. Elle propose donc un parcours artistique à la fois spatial et temporel. Ce dernier est guidé, le visiteur devant suivre les pages Web dans un ordre donné. Il est aussi interactif, car certaines œuvres in situ sont animées, le spectateur devant les activer pour les visionner. Cela permet de pallier le manque d’interaction qu’une visite en ligne induit nécessairement. Ce chemin virtuel et unidirectionnel se prête très bien au contexte de visionnement seul, chez soi et devant un écran, s’il est perçu comme une invitation à la méditation personnelle. À l’instar d’un livre illustré dont on tournerait les pages, la commissaire nous plonge en effet dans un récit poétique.
Cet aspect à la fois narratif et exploratif est appuyé par la présence de nombreux textes entourant le travail des artistes. En alternant citations philosophiques et vers écrits de sa propre main, Catherine Barnabé nous invite à regarder la nature selon différents points de vue, œuvres à l’appui. Les enjeux liés à la présence humaine sont évoqués, on est vu tantôt comme un récepteur sensible faisant partie de son écosystème, tantôt comme un marqueur y laissant une trace indélébile. Certaines dichotomies sont aussi mises de l’avant telles que le passé versus le présent et la nature versus la technologie.
Ce sont des thèmes que l’on retrouve notamment dans les œuvres d’Ingrid Tremblay et de Jennifer Dickson, spécialement mises en dialogue dans cette exposition. Avec Tender light (2020), la première présente deux écrans placés l’un devant l’autre, tel une mise en abîme de l’espace. Ils diffusent une vidéo d’un sous-bois filmé à différents moments de la journée selon un plan fixe. Mais en regardant plus attentivement, on constate que le sous-bois n’est pas tout à fait le même sur les deux écrans. Des écarts apparaissent ici ou là tel un jeu des sept erreurs. De plus, des effets de saturation de couleurs distancient le spectateur de la réalité, comme si la nature se dénaturalisait. Enfin, l’artiste a laissé visible le dispositif d’installation vidéo, comme pour montrer que l’on est avant tout face à une projection et non devant une forêt. Dans son œuvre Lord Byron’s Wishing Garden (1975), Dickson cherche également à s’éloigner du réel. Il s’agit d’une sérigraphie réalisée à partir d’une photographie représentant un jardin à la française. En superposant différentes techniques et différentes couches, l’artiste vient modifier les couleurs originelles et souligne l’écart entre une nature réelle et une nature médiatisée.
Ingrid Tremblay, Tender light, 2020, vidéo, 2m56. Capture d’écran du Centre d’exposition de l’Université de Montréal.
Hannah Claus et Andrée de Groot se distancient aussi de la réalité en mettant de l’avant le médium utilisé. La nature n’est pas le sujet mais un simple prétexte. La porosité des frontières entre le réel et le virtuel est ainsi questionnée. Dans iakoròn:ien’s [the sky falls around her] (2020), Claus fait valoir la « pixalité » de sa photographie qui représente le feuillage dense d’un arbre. Des morceaux de ciel blanc se détachent, laissant apparaître un fond noir, pendant que la couleur des feuilles s’intensifie et s’illumine. Cela donne l’impression d’être face à une image 3D, entièrement conçue par ordinateur. La matière semble aussi s’envoler dans la peinture de De Groot, Mont Saint-Pierre (1972). Sa touche rapide et tourbillonnante transmet en effet une sensation de mouvement ascendant et certaines parties de la toile sont laissées vides, dévoilant ainsi la blancheur du support. Les couleurs sont également vives et arbitraires. L’artiste ne cherche donc pas à représenter la réalité mais à souligner la picturalité de son médium.
On peut alors évoquer la notion d’auto-référentialité de l’art pour ce duo artistique : avant d’être devant un paysage, nous sommes avant tout face à une photographie ou une peinture.
Andrée S. De Groot, Mont Saint-Pierre, 1972, aquarelle sur carton, 56,4 x 71,7cm. © Succession de l’artiste, 2020. Photo : Patrick Mailloux (2020). Collection d’oeuvres d’art de l’Université de Montréal.
À travers cette exposition, la commissaire nous raconte donc une histoire, celle de la nature, des êtres humains et de l’art. Les œuvres exposées nous encouragent à regarder autrement, en dévoilant une autre réalité, voire une surréalité. L’usage des nouvelles technologies est plus immersif et plus actuel, donc parfaitement adapté à une exposition en ligne. Il peut toutefois paraître paradoxal quand il s’agit d’évoquer la nature. Toutefois, il est important de souligner que cette exposition a été créée dans un contexte de pandémie et de confinement. Ne traduirait-elle donc pas un besoin viscéral d’être au contact de la nature ? De faire un retour aux sources, à un état de pureté, avant même que la femme et l’homme ne viennent tout détruire ? J’ai personnellement eu un appel de la nature après cette visite, comme une envie irrésistible de prendre une marche, du recul sur le monde qui nous entoure et sur la situation actuelle.
Cette exposition est aussi une façon de présenter la nature comme une œuvre d’art en soi. N’est-elle pas la première source d’inspiration des artistes et leur sujet de prédilection depuis la nuit des temps ? Dans ce cas, l’art serait accessible par tous, sans contrainte de lieu, ni de temps, ni d’argent ni de contexte pandémique. Il s’agit donc d’une incitation à la promenade en portant un regard à la fois artistique et contemplatif sur la nature, car c’est la seule chose qui nous reste en ce moment. Cadrer la nature ne signifie donc pas la délimiter mais simplement la percevoir telle qu’elle est vraiment, comme un musée à ciel ouvert et un lieu de bien-être.
En bannière : Ariane Plante, À l’imprévu des forêts, 2020, images de dimensions variables et bandes sonores. Capture d’écran du Centre d’exposition de l’Université de Montréal.
CHARLINE GIROUD | WEBMESTRE ET RÉDACTRICE WEB Étudiante en histoire de l’art à l’UQÀM, Charline a auparavant complété un baccalauréat en sciences de la gestion ainsi qu’une maîtrise en communication, marketing et vente en France. Durant ses premières années d’expérience professionnelle, elle s’inscrit aux cours du soir de l’École du Louvre à Paris et décide alors de se spécialiser dans le domaine des arts. Ses intérêts se portent principalement sur les enjeux économiques et sociaux qui entourent l’art actuel et ses acteurs. Charline s’implique également dans différentes organisations artistiques montréalaises. Elle effectue ainsi un stage à la galerie CIRCA en tant que co-commissaire d’expositions et occupe le poste d’adjointe aux communications au sein du syndicat Théâtres Unis Enfance Jeunesse qui soutient le théâtre jeune public québécois. Pour plus d’articles écrits par Charline Giroud, cliquez ici. |