Par Léa Martin
Du 11 février au 13 mars 2021
Galerie Bradley Ertaskiran
Exposition solo de l’artiste Marie-Michelle Deschamps
Dans le bunker de la galerie Bradley Ertaskiran pousse une délicatesse dichotomique au cœur du monstre de béton. C’est Oasis, l’exposition solo de l’artiste Marie-Michelle Deschamps, qui envahit l’espace du sous-sol de la galerie du 11 février au 13 mars 2021. Les œuvres-dentelles obligent un regard curieux tant leur déploiement est fluide dans la pièce grise. Failed ink / Une encre qui n’a pas tenu sa promesse s’érige organiquement au centre de l’exposition. La grande sculpture en acier blanc dessine une abstraction domestique en plein cœur des chuchotements floraux. La construction solide de ses lignes et ses courbes industrielles rappellerait la plomberie, si la plomberie était issue du design suédois. Ce sentiment ménager est renforcé par l’insertion des extrémités de la structure dans le drain du bâtiment, au milieu du plancher de béton. Le regard virevoltant induit par le squelette d’acier nous pousse à nous déplacer dans la pièce avec stupéfaction. L’armature est presque mobile tant le dessin glisse habilement dans l’espace. Les allures de piédestal de la sculpture nous laissent y imaginer des plantes suspendues, une jungle rêvée. Le travail minutieux de l’artiste n’est tout de même pas oublié dans cette structure solide. Des détails sensibles en cuivre et en verre coloré contrastent la pureté de l’installation et l’empêchent de dérober entièrement la vedette aux œuvres affichées au mur.
Marie-Michelle Deschamps, Failed Ink / Une encre qui n’a pas tenu sa promesse, 2021, acier, cuivre oxydé, tubes de verre, émail vitrifié, feuille de cuivre, cire, fil de cuivre, dimensions variables dimensions. Crédits photo : Maxime Brouillet.
Les petites œuvres, parfois présentées en tandem, offrent maintes déclinaisons de motifs organiques. Les émaux vitrifiés sur feuilles de cuivre Parasols #1 et Parasols #2 utilisent des tracés végétaux homologues. Le dessin, marqué par un fil en argent, propose une lecture géométrisée d’éléments naturels. Dans Parasols #1, le feuillage de verts et de bleus pastel pousse sur un fond beige. De sporadiques taches rouges éveillent l’image. Parasols #2 agit comme son contraire, un jardin nocturne. Sur son fond bleu marine, la copie aux couleurs froides arbore quelques touches de jaune en ponctuation chromatique. Positive et négative, les deux œuvres se démarquent par leur contraste lumineux, tributaire d’une exposition où les dualités se font sentir.
Marie-Michelle Deschamps, Parasols #1 et Parasols #2, 2021, émail vitrifié sur feuille de cuivre et fil en argent sterling, 30.5 x 23 cm. Crédits photo : Maxime Brouillet.
Dans le même médium, Alphabet avance quelque chose de différent. L’abstraction monochrome cite des racines, des lignes topographiques et même des hiéroglyphes. Les arêtes d’argent tracées sur le fond bleu de mer évoquent une nature sèche, brute. Ses traits à-pics font détonner la peinture émaillée des œuvres où la verdure se présente comme luxuriante. Les figures indéfinies, malgré les nombreux indices qu’elles induisent, nous rappellent que le sens nous échappe. Le titre souligne d’ailleurs qu’une signification cachée s’y camoufle. Alphabet nous fait baigner confortablement dans l’espace frontière entre la figuration et l’abstraction par ses jeux de lignes et de l’esprit.
Marie-Michelle Deschamps, Alphabet, 2021, émail vitrifié sur feuille de cuivre et fil en argent sterling, 23 x 30.5 cm. Crédits photo : Maxime Brouillet.
Tatum Dooley, autrice du texte de présentation, présente les œuvres de Deschamps comme une simultanéité sémantique et temporelle. L’exposition, inspirée d’un ouvrage ancien d’herboristerie, se fige à la fois dans le présent et le passé, en plus de confronter l’organique au mécanique par le choix des matériaux. L’espace hors du temps, fabriqué de toute pièce par Marie-Michelle Deschamps, nous aspire dans un printemps infini où le végétal cohabite avec la main humaine dans un synchronisme finement orchestré.
En bannière : Marie-Michelle Deschamps & Celia Perrin Sidarous. Bouquet III. 2021. Crédits photo : Maxime Brouillet.
LÉA MARTIN | COLLABORATION SPÉCIALE
Léa Martin est une critique, commissaire et artiste qui émerge vivement de l’invisibilité des débutant·e·s. Ses écrits ont été publiés dans les revues étudiantes Yiara et Lieu commun puis ses œuvres ont été présentées, entre autres, au Livart ainsi qu’à la Société d’art et d’histoire de Beauport. En 2019, Martin co-fonde et co-commissarie le Festival ETC – Expérimentations et théories contemporaines, (enfin) présenté à Projet Casa en mai 2021. Dans sa pratique écrite comme artistique, elle déjoue les attentes et se jouent d’elles avec audace, humour et sensibilité.