L’Aurige de Delphes

Par Mike Jr Asselin
Dans la salle 13 du musée de Delphes se dresse le conducteur de char le plus connu de la Grèce Antique : l’Aurige de Delphes, devenu célèbre pour sa qualité d’exécution et son état de conservation. Les archéologues français du 19e siècle s’interrogèrent, au moment de sa découverte, sur l’identité de cette sculpture de bronze, sa représentation et son origine. Mais qu’en savons-nous de plus aujourd’hui?

La découverte

Delphes, le 28 avril 1896, les archéologues français fouillent la maison du « Bakal » Kounoupis, tout près de l’Ischégaon. En démolissant une conduite d’eau en terre cuite, les archéologues mettent à jour la partie inférieure d’une statue de bronze vêtue d’un costume aux plis « assez réguliers, comme des cannelures ioniques »1. Les archéologues découvrent ensuite, une jambe de cheval en bronze et un bloc en calcaire gris qui porte une inscription. C’est le premier bronze de taille importante que l’on découvre à Delphes2.

Le 1er mai, les archéologues français découvrent la partie supérieure de la statue. Le directeur de l’École française d’Athènes, Théophile Homolle, date la statue de bronze du commencement du 5e siècle. L’équipe d’archéologues français dégage aussi l’avant-bras droit de l’Aurige avec les rênes toujours en main une autre jambe postérieure et une queue de cheval. À ce moment, d’autres pièces sont découvertes pendant quelques jours, complétant ainsi les trouvailles : un pied arrière de chevalet, une partie du joug, puis un coussinet triangulaire.

Le Journal des fouilles, tenu par l’École française, demeure le seul document scientifique à documenter ces faits et concorde avec les rapports des différents fouilleurs : Bourguet, Convert et Homolle. Ce dernier, conscient de l’importance de cette découverte, envoie deux télégrammes à l’Académie des Inscriptions à Paris. Il transcrit la dédicace de la base en y reconnaissant une mention de Polyzalos le Deinoménide. Le 5 juin 1896, Homolle présente à l’Académie un rapport détaillé de la découverte, une description exhaustive de l’Aurige, des observations sur les techniques de fabrication et une hypothèse sur la date et le style de l’œuvre.

Aurige de Delphes, Artiste inconnu. 5e siècle avant J.-C.


Dimensions : Statue : h. 128 cm. Base : h. 29,8 cm
Matériaux : Statue : bronze, fer, plomb, pierres, émail, cuivre. Base : calcaire gris
Musée archéologique de Delphes, Delphes
photo : Mike Jr Asselin

Description de l’Aurige

La base de la statue de l’Aurige est en calcaire gris provenant des carrières de Parnasse. Cette dalle quadrangulaire est piquetée et présente cinq scellements; trois scellements verticaux ont servi à fixer la statue. L’état de conservation exceptionnelle de la base (on y voit encore la trace des outils de bouchardes et gradines) serait dû au fait qu’elle n’a pas été laissée aux intempéries très longtemps. En effet, la statue et sa base auraient été ensevelies après le séisme de 373 avant J.-C., soit à peine cent ans après la réalisation de l’œuvre. Non seulement la statue a été préservée des intempéries, mais la patine verte qui s’est formée sur le bronze de la sculpture a également contribué à sa conservation.

Le personnage, soit le conducteur de char, découvert en trois parties est de grandeur nature (180 cm). Il lui manque seulement le bras gauche, laissant l’emmanchure de la tunique vide. L’Aurige incarne un éphèbe athlétique. De larges épaules témoignent de sa force, mais la finesse des attaches sur ses vêtements indique un signe de distinction. Il est élancé et cette grandeur est accentuée par le xytis, cette longue tunique blanche traditionnelle à manches courtes qui était portée très haut à la taille et descendait jusqu’aux chevilles. On la portait uniquement aux courses de chars. À l’origine la statue de l’Aurige faisait partie d’un tout, alors qu’aujourd’hui seul le personnage est donné à voir aux spectateurs. L’attention principale devait être toutefois donnée à l’ensemble de l’œuvre et non uniquement à son conducteur, la grandeur du personnage aurait été perçue différemment à l’époque puisqu’il se trouvait dissimulé derrière son char.

De manière plus précise, nous pouvons observer quelques détails de la statue qui témoignent de la technique et des matériaux utilisés lors de sa création. Le bandeau, symbole de la victoire, serre la tête au niveau des tempes. Il était à l’origine décoré d’incrustations en cuivre et en argent qui aujourd’hui ont disparues, toutefois les dessins d’un méandre et de croix grecques sont encore visibles. La bouche est entrouverte et laisse apercevoir quelques traces de cuivre subsistant sur les lèvres et nous rappellent qu’elles étaient recouvertes d’une pellicule de cuivre. Entre les cils de bronze, les yeux ont conservé « [leurs] globes oculaires et leur composition polychrome »3. Le blanc de l’œil est en pâte blanche, l’iris en pierres d’un marron clair est entouré d’un cercle en pierres noires. La pupille est faite de ce même matériau. L’ajustement des pierres est si parfait que l’ensemble parait être une seule et même pièce. De plus, il a le corps, les épaules et la tête légèrement tournés vers la droite, ce qui anime la statue. Le sculpteur a utilisé un subterfuge en creusant légèrement la joue gauche, ce qui crée une illusion d’optique et donne l’impression de voir l’Aurige de face, alors qu’il a la tête légèrement tournée vers la droite. Les bras tenus en avant à l’horizontale retiennent les rênes, le bras gauche manquant faisait le même geste. Il a les doigts longs et fins et ses ongles démontrent un travail de finition repris au burin. L’Aurige est droit et calme; il annonce « la sérénité olympienne de l’immortalité » 4.

La dédicace de la base : son analyse

La première ligne a été gravée de nouveau dans une rasura qui a fait disparaître le texte original. L’écriture de la deuxième ligne se distingue par quelques différences dans la forme des lettres (le E, le N, le Y, le H et l’absence du caractère Ω), ce qui laisse croire que la première ligne est plus récente alors que la deuxième remonte au 5e siècle avant J.-C. La forme du texte est dorienne et le lettrage vient du grec ancien.

L’analyse de la dédicace faite par les archéologues français a révélé une ambiguïté quant à la véritable identité de son auteur. Bien que le nom de Polyzalos apparaisse sous la dédicace, ce détail n’est pas le plus important. L’indice de l’auteur légitime se dissimule dans la forme de la lettre E à quatre branches ce qui est plutôt rare. On retrouve généralement ce type de caractère sur des inscriptions archaïques de Béotie, de Locride occidentale et de Géla. Les études approfondies d’Homolle, de Washburn et de Keramopoulos ont conclu que l’auteur de l’inscription est bien Géla. Le Polyzalos auquel l’inscription fait référence est donc le Polyzalos de Deinoménide, tyran de Géla, qui remporta la course de chars des jeux pythiques en 478 ou 474 avant J.-C. Le vainqueur voulut donc immortaliser sa victoire en donnant une offrande au sanctuaire delphique. Sa fonction devient maintenant claire, la statue devait donc servir d’ex-voto.

Plusieurs intrigues et controverses subsistent autour de l’effacement ou de la correction de la dédicace située sur la base, mais il faudra attendre d’autres preuves pour réévaluer cette hypothèse qui jusqu’à maintenant semble la plus plausible.

Au moment de la restauration de l’Aurige de Delphes, les procédés et techniques de l’époque ont été examinés, mais on fit face à quelques difficultés de reconstitution. Est-ce que l’Aurige est seul sur son char? Est-ce que les techniques de confection sont identiques pour toutes les parties? Est-ce que toutes les pièces de bronze retrouvées font bel et bien partie d’un même ensemble? Beaucoup reste encore à faire. Le premier bronze important découvert à Delphes n’a pas encore révélé tous ses secrets. L’absence de documents anciens et d’images nous restreint dans nos connaissances et nous oblige à baser nos études sur certaines interprétations toujours contestées. D’autres fouilles archéologiques sous la Voie sacrée de Delphes sont donc nécessaires pour nous permettre de faire de nouvelles découvertes qui pourraient alors contribuer à une reconstitution historique plus fidèle.

1 F. Chamoux, L’Aurige de Delphes, DeBoccard, Paris, 1955, p.7.
2 J. Boardman, Greek sculpture : the classical period, Thames & Hudson, Londres, 1985, p.52.
3 F. Chamoux, op.cit., p.53.
4 P. Petsas, Delphes; monuments et musée, Éditions Kréné, Athènes, 2004, p.118.

2 réflexions sur “L’Aurige de Delphes

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