Appréhender le paysage autrement: La Terre en suspens de François Quévillon

Par Béatrice Larochelle

Cela semble tout naturel que l’artiste François Quévillon ait choisi le village de Kamouraska comme toile de fond pour son exposition La Terre en suspens: Univers géologiques et représentations numériques, présentée à l’été 2022 au Centre d’art de Kamouraska.

Située aux abords d’une côte fluviale idyllique, Kamouraska est reconnue par les vacanciers pour son air salin et ses habitations pittoresques. Pourtant, ces bosses rondes et luxuriantes ayant bien avant émergé de la marée sont ce qui caractérise réellement ce coin du Bas-Saint-Laurent. Communément appelés cabourons — littéralement des caps à bout ronds — ces monticules métamorphiques ponctuent la ligne d’horizon de la municipalité. Les adeptes d’escalade y notent pour leur part la générosité des escarpements rocheux qui marquent le début du massif appalachien de cette région. Lieu d’une beauté rêveuse et espace dont le profil, hors du commun, est difficilement saisissable, la région de Kamouraska marque l’imaginaire culturel québécois depuis longtemps, entre autres parce qu’il est de ces territoires que l’on ne peut apprivoiser que petit bout par petit bout, de peur de se perdre dans une immensité sans borne.

Imprégnée de ce contexte, l’exposition de Quévillon affirme un lien fort avec la dernière programmation estivale du Centre d’art de Kamouraska, intitulée Son, mouvement et paysage, et atteste d’une filiation avec la mission continue du lieu de diffusion: mettre en lumière les différents retranchements du concept de paysage par une approche interdisciplinaire et multisensorielle.

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François Quévillon, Traînées pyroclastiques, exposition La Terre en suspens. Centre d’art de Kamouraska. Photo : François Quévillon.

Dans La Terre en suspens, la technologie et la nature s’appuient l’une sur l’autre au lieu de se confronter, pour créer un tout nouvel objet, une toute nouvelle idée du paysage. Les œuvres de Quévillon échappent à la matérialité telle qu’on la conçoit habituellement: rugueuse, non polie, à portée de main. Il y a quelque chose de profondément fascinant dans le fait de voir reproduits des reliefs naturels sur des surfaces bidimensionnelles. Chaque crevasse filmée, agrandie, pixelisée. Ces textures minérales et ces cratères argileux deviennent rapidement de nouveaux motifs, délaissant, pour cette fois seulement, leurs arêtes affutées.

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François Quévillon, Tablelands en suspension et Traînées pyroclastiques. Vue de l’exposition La Terre en suspens. Centre d’art de Kamouraska. Photo : Francois Quévillon.

Même si l’artiste mise majoritairement sur l’écran pour présenter ses projets, il parvient néanmoins à faire varier ses médiums avec brio, présentant une œuvre tantôt sur lentille lenticulaire tantôt en projection vidéo, et visitant d’autres technologies comme les dispositifs audiovisuels ou encore un iPad, qui dans l’espace d’exposition se soumet aux aléas des courants d’air – rappelant la brise saline en-dehors de ces murs que le projet a si souvent lapée. Cette pluralité de médiums permet au·à la visiteur·euse de mettre en perspective sa propre relation avec le territoire, par l’entremise de sa végétation comme de son profil géologique. Elle présente aussi une nouvelle réalité qui est la nôtre: celle d’un monde fortement modelé par le digital.

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François Quévillon, Érosions, exposition La Terre en suspens. Centre d’art de Kamouraska. Photo : Francois Quévillon.

L’œuvre vedette de cette exposition demeure Érosions, une expérience en réalité virtuelle qui transporte le·la visiteur·euse d’un univers topographique à un autre à travers le Québec. Véritable lunette géologique, un périple étourdissant attend le·la voyageur·euse, dans lequel iel sera confronté·e à des formations rocheuses abstraites, des forêts luxuriantes et des cavernes vibrantes. La Terre en suspens, avec ses paysages si finement traduits, emporte le public dans une immersion hors du commun, mais le rapporte au même moment à ses points aveugles, à l’image du vide précipice entourant la carte topographique qui se charge peu à peu devant ses yeux. La nature est-elle vouée à se dérober sous nos pieds?

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François Quévillon, Érosions, vue d’une image affichée dans le casque de réalité virtuelle.

Loin d’éclipser la poésie du territoire québécois au détriment d’une approche plus futuriste, Quévillon permet plutôt au·à la visiteur·euse d’y accéder par un point de contact nouveau, rassemblant ainsi une pluralité de lieux féeriques sous le toit Mansart du Centre d’art de Kamouraska.

Les roches de Quévillon ont déboulé jusqu’au Centre d’exposition d’Amos, où le public peut expérimenter depuis quelques jours une nouvelle itération de cette exposition, commissariée par Eric Mattson. La Terre en suspens est présentée du 18 novembre 2022 au 15 janvier 2023.

En bannière : François Quévillon, Érosions, vue d’une image affichée dans le casque de réalité virtuelle.


Béatrice Larochelle
BÉATRICE LAROCHELLE | RÉDACTRICE ET COÉDITRICE

Béatrice Larochelle est candidate à la maîtrise en muséologie de l’UQAM et de l’Université de Montréal. Elle est titulaire d’un certificat en muséologie et diffusion de l’art de l’UQAM et d’un baccalauréat en histoire de l’art de l’Université Laval. Ses recherches portent sur la mise en exposition de pratiques artistiques éphémères et écologistes. De manière plus générale, elle s’intéresse aux pratiques traitant du beau, du sensible et du poétique, tout en ayant un regard marqué par les enjeux sociaux et environnementaux. Béatrice est actuellement coordonnatrice aux expositions et aux communications pour la galerie Art Mûr. Elle a travaillé à titre d’assistante à la coordination pour la 6e Biennale d’art contemporain autochtone : Land Back. Béatrice s’est impliquée dans l’organisation de diverses expositions d’art actuel telles que ce qui du monde se prélève permet à l’œil de s’ouvrir (2020) et Jeux de pouvoir : montrer, imposer, manœuvrer (2019). Elle est actuellement co-éditrice et rédactrice pour la revue Ex_situ.

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