La belle saison au Belgo entre quatre expositions et huit situations

Par Jean-Michel Quirion

L’été, l’édifice Belgo se vide. Çà et là, d’un étage à l’autre, les centres d’artistes comme les galeries cessent la diffusion d’expositions et de quelconques projets le temps d’un ou deux mois. Toutefois, en oscillant dans les corridors étouffants en raison de la chaleur accablante, les quelques expositions présentées sont pour le moins rafraîchissantes, voire exaltantes : Summer in the City à la Galerie Laroche / Joncas ; le deuxième geste de Wood Land School : Kahatènhston tsi na’tetiátere ne Iotohrkó : wa tánon Iotohrha / Traçant la ligne de janvier à décembre à la SBC galerie d’art contemporain ; Insulaires à la Galerie Trois Points; Greffe-moi une fleur et Am I Worth it ? À CIRCA art actuel, et l’initiative 8 artistes : 8 situations à la Galerie Hugues Charbonneau.

Brève tournée
Jusqu’à tout récemment, Isa B., Ted Barker, Patrick Dunford, Robb Jamieson, Amélie Jérôme, Benjamin King, Vincent London, Gilles Mihalcean, Sean Montgomery, François Simard et Justin Stephens occupaient l’espace de la Galerie Laroche / Joncas le temps de l’exposition estivale Summer in the City. Une narration — dans un amalgame de pratiques et d’esthétiques — proposait des scènes de la belle saison dans des couleurs ardentes et stridentes, de paysages bucoliques troublés dans un tourment d’abstraction, ou d’individus dans des postures incongrues, qui, par des actes de répulsion, supposent une initiation à une orgie ou à une forme de sacrifice religieux. En contraste, les natures mortes en graphite de Ted Barker présentent des compositions au rendu hyperréaliste, mais au contenu irréaliste. Dans l’expographie, l’alternance des formats provoque des ruptures garantes de la contemplation et de l’appréciation de chacune des œuvres disparates reliées par la thématique de l’été.

De son côté, à la SBC galerie d’art contemporain, le projet Wood Land School : Kahatènhston tsi na’tetiátere ne Iotohrkó : wa tánon Iotohrha / Traçant la ligne de janvier à décembre, organisé par Duane Linklater, Tanya Lunkin Linklater et cheyanne turions, avec Walter Scott, est terminé depuis le 29 juillet et offrait considérablement matière à réflexion. Entièrement coloré d’une teinte rosée en raison de l’enseigne lumineuse en néon de Joi T. Arcand, l’espace du deuxième geste accueillait les œuvres de Elisa Harkins & Nathan Young, Brian Jungen, Tsēma Igharas, Gabrielle L’Hirondelle Hill, Marianne Nicolson, Annie Pootoogook, ainsi que Wendy Red Star. La ligne est omniprésente, elle délimite l’exposition en une chronologie et cartographie le temps — le présent. Tangible ou intangible, illustrée ou non, elle démontre la segmentation — lésion — des relations et des langues autochtones. Les artistes abordent cette délimitation, mais la présente ébranlée dans sa complexité, parfois complètement effondrée. Les œuvres expriment divers paradoxes, l’arme et le bouclier, la blessure et la cicatrice. Dans la vidéo The Plains Indian Sign Language (2017) de Elisa Harkins et Nathan Young, Harkins exprime un dialogue par une langue des signes étroitement liée à l’écriture des images indiennes, avec laquelle différentes tribus des Indiens des Plaines se communiquaient autrefois. Le triste sort de son amie noyée dans une rivière est mimé.

Le 26 août dernier, à la Galerie Trois Points, se terminait Insulaires, avec Chris Boyne, Isabelle Guimond et Laurent Lévesque. C’est une exposition qui contextualise Montréal, cette île nourrie de l’extérieur par le commerce maritime. Les artistes montréalais — trois îliens — traitent du port de Montréal, ce lieu capital de transit — d’importation et d’exportation — qui s’occupe de cet afflux de marchandises de consommation, depuis plus de 375 années. De la série Palermo, Chris Boyne propose une sélection de paquebots filiformes, voguant entre Montréal et Halifax, sa ville natale. Les bateaux géométriques aux couleurs saturées réfèrent à une des interprétations formelles d’un espace-temps, ce va-et-vient dans lequel l’artiste vacille simultanément entre les deux villes. De son côté, Isabelle Guimond présente des dessins numériques et des œuvres sur toile alliant documentation et autofiction, qui, à partir de photographies d’industries, d’entrepôts ou de commerces, prises durant de fréquents parcours dans les quartiers qui bordent le fleuve, illustrent les problématiques de la pollution et de l’embourgeoisement qu’entraîne la surconsommation. La schématisation au coloris pastel contraste avec les sujets, ces lieux délaissés et délabrés. Sinon, Laurent Lévesque va au-delà du fleuve, en posant un regard exclusif et intrusif sur l’océan. Lors d’une résidence sur un cargo, il a filmé de la fenêtre de la chambre d’un officier de la marine marchande, l’étendue infinie de la mer, là où le ciel côtoie les vagues, afin d’illustrer les longues distances sillonnées par les produits de consommation. D’ailleurs, la projection reprend la même surface que le hublot par lequel les séquences furent captées.

À CIRCA art actuel, dans la grande salle, et ce jusqu’au 9 septembre prochain, l’artiste montréalaise Cynthia Dinan-Mitchell offre son exposition Greffe-moi une fleur, dans laquelle elle explore et expérimente le concept de greffe, non pas d’une fleur, mais de maintes hybridations de pratiques dissemblables et d’objets hétéroclites, puis d’écussonnassions inusitées de plantes. Ces composites botaniques, réels — vivants — ou irréels — dessinés ou sculptés —, démontrent, sous une forme artistique et très esthétique, le fonctionnement de la bouture ou de l’aboutement. L’expographie s’apparente à l’intérieur d’une serre surréaliste totalement éclatée et démantelée, où tout trouve pourtant son sens.

Vue partielle de l’exposition Greffe-moi une fleur, de Cynthia Dinan-Mitchell, actuellement présentée à CIRCA art actuel. Crédit : DPM

Dans la petite salle, une autre exposition attenante : l’installation immersive Am I Worth it ? de Christos Pantieras. Ce dernier ausculte l’intimité des communautés virtuelles, où, en raison de ce déclin d’humanisme, les relations deviennent impersonnelles. Ses prémisses sont des textes résultant d’échanges — indirects — par courriels, changés par la matière en une intervention colossale constituée de béton. Une succession de mots recouvre l’ensemble du sol, parfois en accumulation, sur laquelle le visiteur est invité à marcher le pas léger. En superposition — en amont —, la phrase I’m not willing to make the effort se retrouve par bribes en lettre moulées et trouble alors la bidimensionnalité du tout.

Vue de l’exposition Am I Worth it ?, de Christos Pantieras, à CIRCA art actuel. Crédit : DPM

Une tournée situationnelle
La Galerie Hugues Charbonneau, quant à elle, délaisse l’exposition et reste active au moyen de huit situations distinctes, quelques fois quasi sensationnalistes, parfois bien intimistes. Quoi qu’il en soit, l’initiative nous convie à vaciller d’une place à l’autre, entre la galerie à même l’édifice Belgo, les différents endroits dans la métropole de Montréal, et même virtuellement sur notre propre mobile. Ainsi les situations provoquent un parallèle constant de la sphère du privé à celle du public.

Afin d’inaugurer cette série inédite, la galerie présente comme première situation l’œuvre Pourquoi les raffineries ? (1973-2017) de l’artiste signataire du Refus global de 1948, Françoise Sullivan. Le 21 juin, dans la galerie, l’iconique Sullivan était sur place pour dévoiler en exclusivité un assemblage numérique de neuf photographies évolutives — performatives — basées sur l’une de ses marches à Montréal durant les années 1970. La question Pourquoi les raffineries ? se pose inévitablement. Pourquoi déambuler devant un amas de béton duquel émane une fine cheminée énigmatique, perdue dans des « effluves de fumée pétrolifère » [i] ? L’œuvre renvoie à Danse dans la neige (1948), série de 17 images dans laquelle Sullivan danse au pied du mont Saint-Hilaire dans une neige parfois salie. Les gestes libérateurs et hors normes, en contraste avec les lieux austères d’exécution, établissent une relation singulière avec ceux-ci.

Dans la deuxième situation, qui était d’une durée de 48 heures et se passait entre le 5 et le 6 juillet, l’artiste Guillaume Adjutor Provost — nouvellement représenté par la galerie — prenait possession du compte Instagram de la galerie afin d’offrir une séquence d’images exclusives aux quelques 1600 abonnées. Contemplation virtuelle au moyen du hashtag #guillaumeadjutortakeover, six images dévoilent les expérimentations de maintes formes indéterministes, lors de sa plus récente résidence de création — Fatigue — au Centre d’Art contemporain Bòlit de Gérone, en Catalogne (Espagne), par l’entremise de la Chambre Blanche à Québec. Ce sont des paysages séléniques, constitués de cratères creusés dans de la mousse et teintés de graphite. Ils s’apparentent aux empreintes des mains et des doigts de l’artiste. Trois autres images offrent des vues rassérénantes — en détail — de sites fréquentés par la communauté homosexuelle, à partir du cadrage de l’objectif d’un appareil.

Captures d’écrans du Instagram de la Galerie Hugues Charbonneau. Images publiées par Guillaume Adjutor Provost #guillaumeadjutortakeover. Crédit : Galerie Hugues Charbonneau

La troisième situation propose le lancement du livre érotico-poétique Le Renard Vulve, par Cynthia Girard-Renard. En utilisant le pseudonyme Satan Narval, l’artiste convie à une balade sur le Mont-Royal où la narratrice est à la recherche de l’être aimé. Sur son chemin ponctué d’intrigues, de diverses formes de deuils, ou de multiples actes sexuels, les protagonistes constitués d’un couple de moufettes lesbiennes, d’une chauve-souris danseuse nue, d’une raton-laveur barmaid, accompagnent le renard dans sa quête débridée. Un livre divertissant à lire et à voir, de même qu’à relire et à revoir.

La quatrième situation, KA-POW !, de l’artiste de la performance Maria Hupfield, évoque une intervention dans une mouvance figée. Deux bancs ornent l’espace public du fréquenté parc Square Victoria, l’un à la forme d’étoile entourant un arbre, et l’autre d’un éclair schématisé. L’attraction naturelle des arbres par l’abondance du feuillage et les assises dynamiquement colorées favorisent les rencontres sociales sous ceux-ci. Résultant d’un acte d’union, les bancs sont perpétuellement performés par les innombrables fréquentations du parc. Par ailleurs, KA-POW ! s’inscrit dans l’exposition Sentier de résilience, définie par la commissaire Cheryl Sim, en partenariat avec le Centre Phi et DHC/ART, dans le cadre de la Promenade Fleuve-Montagne, un projet de legs du 375e anniversaire de Montréal.

La cinquième situation est pour le moins la plus prenante, à la fois décadente et scintillante. Le 28 juillet, durant 24 heures consécutives de tensions latentes, Nadège Grebmeier Forget a occupé l’espace de la galerie pour l’élaboration et la production d’interventions circonscrites à sa plateforme de transmission : Instagram. Au moyen du hashtag #nadegegforgettakeover, dans des tenues burlesques, l’artiste proposait une onde volontiers provocatrice de gestes intimistes dans un amalgame de séquences vidéo en direct et d’images hétéroclites : des appropriations de l’Internet montrant des scènes de déchéance — des doigts amputés ornés de bagues quelques peu tapent à l’œil ; une dame urinant sur une moquette ; un sous-vêtement paré d’immenses bestioles — parsèment ces propres scènes exubérantes. Des objets ont également été altérés : une paire de mains en porcelaine est devenue le socle d’une banane avariée et des figurines de plâtre bigarrées de vernis à ongle, des êtres biscornus. S’ajoute à cette pléthore de paillettes, une prédominance chromatique de divers roses étincelants, signature de l’artiste.

Captures d’écrans du Instagram de la Galerie Hugues Charbonneau. Images publiées par Nadège Grebmeier Forget #nadegegforgettakeover. Crédit : Galerie Hugues Charbonneau

La sixième situation, par Matthew Biederman, est Le réseau antagoniste génératif. Elle a été lancée le 16 août, dans l’espace de la galerie, pour une courte exposition de trois jours. L’artiste a entraîné un réseau neuronal à l’aide d’une technique de pointe qui génère des portraits à partir de scans corporels de la Transportation Security Administration (TSA) — tels que ceux utilisés dans les aéroports. Le système d’images recueillies est exposé, au moyen d’une projection et de boîtes lumineuses, à partir de données biométriques, constituées d’innombrables réverbérations et de centaines de lignes qui convergent formellement.

La septième situation se déroulait en date du 23 août, dans l’espace de travail de David Lafrance, situé dans l’aile fantôme du 305 rue de Bellechasse, accessible par la porte 6217 de la rue Henri-Julien. Le public était convié à même ce lieu intimiste où l’artiste crée ses peintures, aquarelles, dessins, gravures et sculptures, propres à son univers iconographique — thématique — autour duquel orbite une multiplication de symboles issus de la culture populaire ou d’êtres naïfs dans une profusion de paysages utopiques ou dystopiques. Une chronologie d’œuvres, dans certains cas très exclusives, des vingt dernières années — de 1997 à 2017 —, était alors mise en espace.

La huitième situation est arrivée juste à temps pour la rentrée au Belgo, alors que l’édifice se comble à nouveau. Présentée du 30 août au 15 octobre 2017 dans le cadre de KM3 — un parcours d’œuvres publiques dans le Quartier des spectacles de Montréal — l’installation Laocoon de Chloë Lum et Yannick Desranleau, incarne un mythe de la Grèce ancienne submergé d’un éclatement « pop » et bien actuel. Imbriquée à même l’architecture du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) situé sur la rue Saint-Urbain, l’œuvre du duo se décline à travers cinq formes à la fois picturales et sculpturales alliant un assortiment d’éléments factices, dont des mains roses aux ongles d’un bleu vif, entrelacées de cordes jaunes serpentiformes. Dans une suite narrative, le tout se retrouve dans les niches architecturales du bâtiment.

Vue partielle de l’installation Laocoon de Chloë Lum et Yannick Desranleau sur le Théâtre du Nouveau Monde (TNM), dans le cadre du parcours d’œuvres publique dans le quartier des arts de Montréal, KM3. Crédit : Galerie Hugues Charbonneau

Galerie Laroche/Joncas
372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 410
Métro Place-des-Arts
Mercredi et vendredi: 11 h à 18 h, samedi : 12 h à 17 h

SBC galerie d’art contemporain
372, rue Ste-Catherine Ouest, espace 507
Métro Place-des-Arts
Mardi au samedi : 11 h à 17 h, jeudi : 11 h à 20 h

Galerie Trois Points
372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 520
Métro Place des arts
Mardi au vendredi : 10 h à 18 h, samedi : 12 h à 17 h

CIRCA art actuel
372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 444
Métro Place-des-Arts
Mercredi au samedi : 12 h à 17 h 30, jeudi : 12 h à 20 h

Galerie Hugues Charbonneau
372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 308
Métro Place-des-Arts
Mercredi au samedi : 12 h à 17 h

En bannière : Vue d’ensemble de l’exposition Greffe-moi une fleur, de Cynthia Dinan-Mitchell, présentée à CIRCA art actuel. Crédit : DPM.


[i]Galerie Hugues Charbonneau, Situation 1. Françoise Sullivan, 2017, En ligne. http://huguescharbonneau.com/situation-1-francoise-sullivan/ (Consulté le 15 aout 2017).

JEAN-MICHEL QUIRION | RÉDACTEUR WEB

Jean-Michel Quirion est candidat à la maîtrise en muséologie à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Son projet de recherche porte sur l’élaboration d’une typologie de procédés de diffusion d’œuvres performatives muséalisées. Une résidence de recherche à même les archives du MoMA émane de cette analyse. Il travaille actuellement à la Galerie UQO à titre d’assistant à la direction et au Centre d’artistes AXENÉO7 en tant que coordonnateur des communications. Il s’implique également au Centre de production DAÏMÔN. Du côté de Montréal, il écrit pour la revue Ex_situ, puis il s’investit au sein du groupe de recherche et réflexion : Collections et Impératif événementiel The Convulsive collections (CIÉCO).

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