Nous sommes ici, d’ici : l’art contemporain des Noirs canadiens au MBAM

Par Daphné Jeannotte

Regroupant le travail de huit artistes contemporains Noirs canadiens, cette exposition, développée par le Musée royal d’Ontario, met l’accent sur la perception de ces artistes présentés quant à leur présence au cœur de la culture canadienne. Nous sommes ici, d’ici est présentée en complémentarité à l’exposition D’Afrique aux Amériques : Picasso en face-à-face, d’hier à aujourd’hui où le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) convie en la réflexion « sur les enjeux liés à la “décolonisation du regard”, et aux perceptions identitaires, esthétiques et culturelles »[i]

Eddy Firmin dit Ano, [Le danger, le particulier et l’étrange], faïence, porcelaine, or et acier, édition 1 de 3, 2016.
Crédit photo : Daphné Jeannotte

Nous sommes ici, d’ici surprend le spectateur par son emplacement situé après la boutique de l’exposition temporaire du Musée des beaux-arts de Montréal. Les visiteurs sont accueillis par l’œuvre d’Eddy Firmin dit Ano, né en Guadeloupe et maintenant établi à Montréal, représentant le buste de l’artiste lui-même. Faisant partie des artistes montréalais ajoutés à la version originale de cette exposition, cet autoportrait est positionné sur une haute plateforme en acier engendrant un contact visuel entre le sujet et son spectateur. Sur le mur, derrière le buste, est peint un rectangle noir faisant tout autant partie de l’œuvre en question. Le flanc supérieur du rectangle noir est marqué par une ligne rouge franche traversant, en conséquence, la partie inférieure du visage du sujet. La présence de ce rectangle et de la ligne rouge accentue l’effet de bidimensionnalité de l’œuvre où « le mode opératoire des a priori et des préjugés que la rencontre de l’autre vient annihiler »[ii] est exprimé. S’inspirant du langage codé de ses ancêtres descendants d’esclaves caribéens, Firmin s’illustre avec un collier d’esclave au cou, représentant la lourdeur du passé de ses ancêtres, alors qu’une partie du visage et de la tête du sujet est ornée de symboles en or de marques de la haute couture. Selon le commissariat de l’exposition, « cette association dilu[e] l’individu et objectiv[e] le corps suscit[ant] réflexion et empathie »[iii]. Au-dessous du buste repose, au sol, un symbole désignant un mille-pattes venimeux nommé scolopendre. Ce symbole désigne pour l’artiste Le danger, le particulier et l’étrange [iv] étant également l’intitulé de cette œuvre.

Michèle Pearson Clarke, Le tchip (d’après Rashaad Newsome), installation vidéo numérique HD à trois canaux (couleur, son), 2017.
Crédit photo : Daphné Jeannotte

Alors que la première salle est divisée par un demi-mur, les bruissements sonores de l’installation vidéo de l’artiste Michèle Pearson Clarke, originaire d’Afrique occidental, font écho dans la quasi-entièreté des salles de l’exposition. Cette œuvre, intitulée Le tchip, illustre le mécontentement des Noirs au Canada par l’entremise du tchipage. Témoignant d’émotions négatives telles que l’agacement, la désapprobation, l’aversion, le mépris, la colère et la frustration, l’intention de Pearson Clarke derrière cette œuvre est d’exprimer la douleur que vivent ses pairs au sein d’un pays « où le concept de “multiculturalisme” nie le racisme que nombre d’entre eux subissent au quotidien » [v]. Ainsi, par la répétition continuelle de ce bruit buccal, le spectateur est invité à s’arrêter et prendre conscience de ce qu’ils vivent.

Esmaa Mohamoud, Sans titre (Absence de terrain), installation multimédia : équipement de football, imprimé d’Afrique occidentale, chaînes, chaussures à crampons, gazon artificiel noir, 2018 et Sans titre (Absence de terrain), impression de jet d’encre, 2018.
Crédit photo : Daphné Jeannotte

La seconde salle de l’exposition s’ouvre avec une sculpture portative de l’artiste Esmaa Mohamoud cherchant à illustrer, autant par cette installation multimédia que par la photographie monumentale englobant la totalité de cette œuvre, le contrôle social dont sont la proie les hommes noirs. Cherchant à exprimer la lourdeur historique de l’esclavagisme se perpétuant par leur présence continuelle dans le milieu du sport, la présence des chaînes sur le dos du sujet illustre clairement cette pesanteur. Développée autour de la résilience et de l’endurance [vi], Esmaa Mohamoud transpose le spectateur dans une empathie visuelle où le sujet représente une communauté entière. D’actualité, cette œuvre « fait écho aux récits tout aussi violents et déshumanisants de la chosification du corps des Noirs au Canada, hier comme aujourd’hui » [vii].

Nous sommes ici, d’ici : l’art contemporain des Noirs canadiens regroupe le travail de huit artistes contemporains Noirs canadiens où s’ajoute, au projet d’origine, trois artistes contemporains Noirs montréalais. Bien d’autres œuvres sont à considérer autant pour leur porté historique que pour une satisfaction visuelle. Présentée jusqu’au 16 septembre prochain, cette exposition invite à vous arrêter un instant afin de considérer la voix, souvent ignorée, d’une communauté bien présente au sein de notre pays.

Nous sommes ici, d’ici : l’art contemporain des Noirs canadiens
Jusqu’au 16 septembre 2018
Musée des beaux-arts de Montréal
1380, rue Sherbrooke O
Montréal, QC
Métro Guy-Concordia/Peel
Lundi et Mardi : 10h à 17h
Mercredi : 10h à 21h
Jeudi à Dimanche : 10h à 17h

En bannière : Michèle Pearson Clarke, Le tchip (d’après Rashaad Newsome), installation vidéo numérique HD à trois canaux (couleur, son), 2017.
Crédit photo : Daphné Jeannotte


[i] Musée des beaux-arts de Montréal, « D’Afrique aux Amériques : Picasso en face-à-face, d’hier à aujourd’hui », dans Expositions à l’affiche. En ligne. .
[ii] Julie Crooks, conservatrice adjointe, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Dominique Fontaine, commissaire indépendante et Silvia Forni, conservatrice des arts et cultures d’Afrique, Musée royal de l’Ontario. Geneviève Goyer-Ouimette, titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarislowsky en art québécois et canadien contemporain de 1945 à aujourd’hui, MBAM, est commissaire de la section montréalaise.
[iii] Ibid.
[iv] Cartel d’exposition, Nous sommes ici, d’ici : l’art contemporain des Noirs canadiens, jusqu’au 16 septembre 2018, Julie Crooks, conservatrice adjointe, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Dominique Fontaine, commissaire indépendante et Silvia Forni, conservatrice des arts et cultures d’Afrique, Musée royal de l’Ontario. Geneviève Goyer-Ouimette, titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarislowsky en art québécois et canadien contemporain de 1945 à aujourd’hui, MBAM, est commissaire de la section montréalaise.
[v] Ibid.
[vi] Ibid.
[vii] Ibid.

 

DAPHNÉ JEANNOTTE | RÉDACTRICE WEB

Titulaire d’un certificat en scénarisation cinématographique, Daphné réoriente ses études en histoire de l’art, à l’UQÀM, où elle est maintenant étudiante au baccalauréat. Une fois bachelière, elle compte poursuivre ses études aux cycles supérieurs en muséologie. Les enjeux entourant les Premières Nations et l’égalité des genres sont des thèmes qui l’affectionnent particulièrement. Elle estime que la guérison des problématiques entourant les peuples autochtones passe, entre autres, par l’expression des formes artistiques. Passionnée par la photographie, elle pratique ce médium dans ses temps libres. Daphné participe à la rédaction de la revue Ex_situ depuis février 2018.

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